Les trois derniers films de Eastwood ont ceci en commun qu’ils s’attachent à montrer l’homme derrière le héros, les coulisses derrière le décor. Dans American Sniper, on découvrait la simplicité, le patriotisme primaire et la naïveté de Chris Kyle, le tireur d’élite le plus prolifique de l’histoire militaire étatsunienne. Dans Sully, c’était au contraire l’autorité, l’éducation et la présence d’esprit de Chesley Sullenberg, dit « Sully », qui nous était conté. Le SEAL un peu con était porté aux nues part toute la nation quand le pilote aguerri était cloué au pilori ; le tueur faisait l’unanimité quand le sauveur était critiqué ; la mort était le métier du premier et ne manqua pas de le célébrer (il vous suffit de regarder les images, impressionnantes, de la chapelle ardente érigée en son honneur dans l’enceinte du stade des Cowboys ou encore les trois cents kilomètres de sa procession funéraire pour vous en rendre compte), quand les vies consacrées par le second lui furent reprochées. Les Etats-Unis condamnaient ainsi le jour et promouvaient la nuit.


Dans 15:17 pour Paris, le propos est une chimère des deux précédents, et se révèle donc plus ambigu encore. D’abord parce qu’à l’instar de Chris Kyle, les protagonistes (deux sur trois en réalité) sont autant d’idiots (peut-être plus encore d’ailleurs) garnissant les rangs de l’armée américaine. Ensuite, parce qu’à l’instar de « Sullly », c’est pour avoir sauver des vies, dans un moyen de transport qui plus est, qu’ils furent honorés. Avec 15:17 pour Paris, c’est donc un triptyque qui s’achève, un triptyque tout entier dédié à l’exploration du héros américain contemporain.


Malheureusement, ce dernier chapitre est loin d’être aussi bon que les deux précédents. La démonstration (comprendre le fond) est déjà plus contestable. La stupeur de Kyle lorsqu’il assista au traumatisme du 11/09 à la télévision en disait long sur ses motivations et ses aspirations : elle était à la fois l’œuf et la poule. Le crétinisme flagrant de Stone et Skarlatos (l’armée ne veut même pas du premier alors que le second, en service, oublie son paquetage dans un village afghan), en revanche, n’offre rien à l’analyse que le mépris qu’ils inspirent. L’éducation religieuse, si elle avait survécu aux vingt premières minutes, aurait pu fournir un meilleur angle. Encore eut-il fallu qu’elle fut réellement déterminante dans le développement de nos héros et qu’elle soit plus qu’une vague certitude dans un grand destin… A cet égard, il sera préférable de voir le film comme la preuve que faire un bon film d’un évènement ayant duré dix minutes et ne mettant en scène que des individus éclatants de stupidité est une chose impossible, que comme l’étude de cas qu’étaient American Sniper et Sully.


On s’ennuie beaucoup pendant le film et on ne peut que s’amuser de constater qu’à l’écran, l’affliction est la même : lorsqu’ils ne sont pas assis dans un train ou à l’arrière d’un bateau, ou confortablement attablés dans les bars et restaurants des grandes cités de l’Ancien Monde, c’est dans le palais de Morphée qu’il faut aller chercher nos protagonistes. Est-ce à dire que le film serait, non plus l’étalage des poncifs d’antan, mais celui d’une jeunesse américaine moyenne, lasse et en manque de repère ? On pourrait aisément le penser, puisque c’est Clint. Plus précisément, puisque c’est Clint, c’est le portrait du héros moderne qui est dépeint. Et c’est alors à travers le prisme des héros des Mémoires de nos pères, par exemple, voire, plus largement, de la figure canonique de son réalisateur, que le film trouverait sa force. Le héros américain dont on imprimait jadis la légende est mort. L’époque a changé et la rigueur des faits a remplacé l’approximation des mythes ; on se préoccupe moins désormais de la portée des exploits de nos héros que de l’austérité de leur quotidien. Leur existence autrefois définie par leur haut fait est maintenant réduite aux affres de leur enfance. Toutes les grandes nations, à un moment de leur histoire, ont vécu pareil renversement de paradigme ; lorsque la masse insignifiante des misérables a dévoré ses quelques idoles, il ne reste guère aux poètes que des os à ronger.


Il se pourrait cependant que l’époque n’y soit pour rien mais que la race des héros se soit éteinte d’elle-même, voire même, mais le film n’y fait jamais véritablement mention, qu’elle n’ait jamais existé. Sur ce propos-ci, et bien qu’il faille creuser pour trouver son compte (on trouve pas d’or sans miner), 15:17 pour Paris est particulièrement pertinent. Malheureusement, l’exécution de Eastwood pèche sensiblement et nuit à la bonne tenue de sa démonstration.

blig
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le 16 févr. 2018

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