Semblant s'être fixé la mission de faire mentir l'adage sévère et restrictif "Qui trop embrasse, mal étreint", Claire Simon recueille dans l'objectif de sa caméra un échantillonnage incroyablement étendu de la faune humaine qui, de jour, de nuit, infiniment diverse, hante allées et bosquets du célèbre Bois de Vincennes, aux limites de Paris. Pareille à l'équipe de forestiers que l'on voit suspendre dans un arbre un piège à insectes destiné à être précieusement remis à des scientifiques afin d'étudier la faune minuscule de ce bois, Claire Simon traque, d'une caméra volontairement non discriminative, tous les éléments humains possibles et inimaginables, isolés ou regroupés. Passent ainsi sous nos yeux, plus ou moins longuement interviewés ou escortés, des employés à l'entretien du bois, des promeneurs, des quêteurs sexuels (homos, hétéros, vendeurs, preneurs, voyeurs...), des sportifs - à pied, à roue, tourmentés et loquaces, uniquement pédalants et soufflants.... -, des communautés, immigrées ou non, réunies là pour telle ou telle fête (deux bouleversants entretiens avec des exilés cambodgiens), des individus émigrés de tous les lieux répertoriés, un fascinant oiseleur dirigeant le vol de ses pigeons et nourrissant l'une de ses oiselles, sa préférée, de la bouche au bec...


En-dehors de ponctuels jeux d'échos, favorisés par le retour d'un personnage, il serait vain de rechercher un fil conducteur, et déplacé de reprocher à Claire Simon l'absence d'une linéarité rassurante et signifiante. Tout juste voit-on se succéder les saisons, qui offrent à la réalisatrice, en échange de son regard passionné, quelques superbes plans sur la forêt, plans diurnes ou nocturnes, aux limites du jour ou sous un ruissellement de soleil. On perçoit avant tout la volonté très ferme de ne pas trier parmi les sujets et de les accueillir tous, dans leur disparité, leur discordance, même, parfois, à l'image de la forêt, qui ne choisit pas, ne catégorise pas, et abrite tout un monde hétéroclite, cacophonique, sous son feuillage, mêlé au ramage de ses occupants ailés. Cette capacité d'absorption de la forêt allège le poids des existences humaines, de leurs histoires, dissout celles-ci dans le vert des feuilles et l'opacité des troncs. S'illustre alors la phrase de Shakespeare qui a inspiré le titre du film, superbe : "Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits (We are such stuff as dreams are made on)".


Hommage et remerciements à la très belle critique de Fritz Langueur, qui m'a convaincue de faire en sorte de ne pas manquer ce film :

http://www.senscritique.com/film/Le_bois_dont_les_reves_sont_faits/critique/90838709

AnneSchneider
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le 13 mai 2016

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Anne Schneider

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