Dans la continuité de mes récentes explorations du mouvement expressionniste au cinéma, il était impossible de passer à côté du Cabinet des figures de cire, réalisé par Paul Leni, et considéré comme étant un des principaux films du mouvement.


Le film nous raconte l’histoire d’un jeune écrivain accueilli par le directeur d’une baraque foraine, qui cherche quelqu’un pour réaliser la publicité de son attraction. Dans cette baraque trônent des statues de personnages en cire, grandeur nature. On y retrouve notamment le Calife Haroun Al Rachid, Ivan le Terrible et Jack Talons-à-Ressorts. L’écrivain doit alors raconter l’histoire de chacun d’entre eux, qui va se dérouler devant nos yeux, et redonner vie à ces figures figées. Un peu comme dans Les Trois Lumières (1921), de Fritz Lang, les personnages de la vie réelle, notamment la fille du directeur de l’attraction et l’écrivain, vont se projeter dans les histoires inventées par ce dernier. L’auteur devient acteur, créant en même temps un monde issu de sa propre imagination.


La voie ouverte par Le Cabinet des figures de cire est tout à fait intéressante, car cela en fait, en quelque sorte, un des premiers films « méta » sur l’expressionnisme allemand. En étant transportés par l’imagination de l’écrivain, nous sommes, quelque part, dans sa conscience, comme nous l’étions dans la majorité des films expressionnistes jusqu’ici. C’est le recours au fantastique ou, au moins, à l’imaginaire, que nous soyons transportés dans un conte des mille et une nuits ou dans l’histoire souvent fantasmée d’Ivan le Terrible. Pour la première fois, nous observons une prise de recul sur le mouvement, qui s’apparente également à une sorte d’épitaphe à l’égard d’une époque. Car ces figures, bien qu’intimidantes, ne sont plus que des répliques figées d’une certaine grandeur passée.


Le film de Paul Leni est à la fois une synthèse et une conclusion. Nous retrouvons, dans la première histoire, ces décors si étranges et biscornus qui rappellent les Cabinet du Docteur Caligari (1920), Genuine (1920) ou encore De l’aube à minuit (1920). Chez Ivan le Terrible, nous sommes davantage dans l’approche thématique, dans l’illustration de l’obsession, dans une projection de la folie du personnage sur le monde extérieur. Enfin, la dernière histoire, bien plus brève, devient le cauchemar même de l’écrivain, dans des envolées visuelles bien plus poussées, transposant les obsessions et les déformations dans le monde réel, qui se mêle alors à l’imaginaire. Paul Leni fera d’ailleurs appel à des acteurs majeurs de l’époque, à commencer par Emil Jannings dans le rôle du Calife, qui se révélera surtout chez Murnau, mais aussi Werner Krauss, acteur récurrent dans le cinéma expressionniste, dans le rôle de Jack Talons-à-Ressorts, et, surtout Conrad Veidt, acteur emblématique du mouvement, implacable en Ivan le Terrible, augurant presque la grande prestation de Nikolaï Tcherkassov chez Eisenstein.


Le film aurait dû être plus long d'après le script d'Henrik Galeen, la troisième histoire ayant été largement raccourcie par Paul Leni et, surtout, une quatrième histoire devant également être racontée, car il y avait une quatrième figure de cire. Cependant, Le Cabinet des figures de cire, s’il est moins marquant que d’autres films expressionnistes, demeure un film emblématique du mouvement et, surtout, un film très intéressant à voir et à analyser dans le cadre de l’histoire de l’expressionnisme au cinéma. Le Cabinet du Docteur Caligari ouvrait les portes quand elles se referment dans Le Cabinet des figures de cire, concluant une première phase d’un mouvement qui va, petit à petit, se diffuser dans le cinéma allemand puis dans le monde entier.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 15 mars 2020

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