En deux lignes :
Dans une fête foraine, le mystérieux Docteur Caligari exhibe un somnambule du nom de Cesare, qui agit sous hypnose. Dès le lendemain, un homme est retrouvé mort, visiblement assassiné.
En un peu plus :
En 1920, la première projection du Cabinet des Dr. Caligari interloque le public allemand, pourtant déjà très habitué à fréquenter les salles obscures dans un pays qui compte 4000 cinémas et près d’un million de spectateurs par jour en 1918. Le choc est avant tout esthétique. L’assistance découvre en effet un film dont la grammaire visuelle, fondamentalement novatrice, semble confiner au délire : fondus enchaînés, atmosphère claustrophobique, jeux de lumière, personnages détraqués aux regards menaçants et vêtus de manteaux trop larges, et surtout d’incroyables décors peints, tout en angles et distorsions, qui transforment le lieu de l’action en personnage à part entière, antagoniste silencieux d’un inquiétant « royaume des ombres » où seule la folie semble trouver sa place.
Film « manifeste » de l’expressionnisme allemand, Das Cabinet des Dr. Caligari invite à pénétrer un monde détraqué jusqu’à la moëlle et participe d’une expérience visuelle sans précédent qui justifie sa place parmi les films les plus importants de l’histoire du cinéma. Cependant, il serait insuffisant de ne considérer l’œuvre qu’à l’aune du choc esthétique qu’elle a pu créer, car les images qu’elle déploie entrent en dialogue direct avec le contexte socio-historique dans lequel elles s’ancrent. Quintessence de l’expressionnisme, Das Cabinet des Dr. Caligari représente en effet, par son esthétique distordue et son atmosphère inquiétante, par les criminels qu’il met en scène, les confusions morales, politiques et économiques de l’entre-deux guerres en Allemagne, pays en proie à une grave crise qui tente de se remettre d’un désastre passé et prépare déjà celui à venir, dans un tiraillement de tout instant. Comme sorties des profondeurs de l’inconscient collectif allemand, les images muettes du film reflètent à chaque instant le caractère quasi-démoniaque d’une époque dont on sait aujourd’hui les monstruosités qu’elle produira hors fiction. Quant au personnage du Dr. Caligari, hypnotiseur fou ivre de sa volonté de puissance, n’est-il pas l’avatar fictionnel de tyrannies qui se fomentent dans l’air du temps ? C’est du moins la théorie du sociologue Siegfried Kracauer dont l’ouvrage critique fondamental, De Caligari à Hitler, postule rétrospectivement que l’œuvre de Wiene constitue une annonce prémonitoire de la montée du nazisme en Allemagne, drainant dans son sillon son lot de crimes et de foules ensorcelées.
Film de monstre donc, en tous points, Das Cabinet des Dr. Caligari est peut-être aussi et surtout un film-monstre, projection fantasmatique de terreurs à venir en Allemagne, un terrible conte pour adultes pétri d’angoisses et de névroses qui n’a pas de peine à pousser son cri d’effroi jusqu’à nous.
Et en quelques images:
Bande-annonce alternative.