J'ai découvert cette pièce dans cette version avec Michel Roux il y a déjà quelques années et je suis tombé amoureux de cette percussion, ainsi que de la richesse des dialogues. Le rythme avec lequel ils sont servis est très impressionnant. Ça mitraille, ça enchaîne, rapidement.


Michel Roux, à ce petit jeu là, est au sommet de son art, d'une précision redoutable. Aucune fausse note ni dans le tempo, ni dans le ton. Il est excellent, totalement à son aise, de bout en bout, cabotine un peu, mais toujours dans un espace où la situation et le texte l'autorisent sans problème. Les comédiens qui l'entourent se mettent totalement à son service.


La distribution n'est pas exceptionnelle. Je dois avouer que je ne la connaissais pas.


Alain Lionel, l'amant, me dit bien quelque chose, mais cela reste assez nébuleux. Un peu caricatural, il a au moins le bon gout de garder un cap assez cohérent, dans la prestance et le guindé de son personnage.


Nadine Alari n'est pas mauvaise, d'autant que son rôle s'avère finalement compliqué, devant jouer une épouse adultère, prêtre à suivre son amant pour une escapade à Rome, tout en restant attachée à son mari, qu'elle jalouse, pour qui elle nourrit une juste colère. Ça fait beaucoup de sentiments à coordonner parfois dans un laps de temps court.


Rachel Genevin joue une Patty Pat un peu évaporée. Je suis partagé. J'ai la sensation qu'elle ne joue pas très bien. Sa diction sonne un peu faux. Mais elle a un physique renversant, idéal pour le rôle et dans le temps elle dégage un dynamisme et un entrain séducteurs.


Arlette Gilbert n'est pas mal. Son personnage est bien tenu, sympathique, jouet-témoin de l'enjeu principal de cette histoire.


Parlons-en de cette pièce : la pièce est non seulement bien dialoguée, mais n'hésitons pas à dire la grande efficacité et le parfait équilibre de son histoire. Ce qu'on nous raconte ne révolutionne rien, mais est présenté avec une conviction et une redoutable force. J'ai parlé de "percussion" plus haut, c'est le maître mot. Le récit est superbe, incisif, net, précis. Les situations s’enchaînent naturellement, à belle cadence. Il s'en dégage la sensation que les personnages roulent sur une route rectiligne, que le cours des événements est imparable. Alors que Hugh Preston, le mari cocu, imagine un scénario tordu, à la perversité amoureuse désespérée pour reconquérir son épouse, l'inéluctable s'impose de façon franche tout en maintenant une certaine élégance. Et extraordinaire, le texte trouve le moyen de placer ici ou là de petits instants d'émotions. La maîtrise des émotions, de leur charivari sur les personnages est parfaite.


Il faut dire que le personnage de Hugh Preston est charmant. Il a une vision de son monde véritablement émouvant, volontiers frondeur, courageux. Son amour pour sa femme et l'effondrement de son couple le heurte au plus profond. Et pourtant il cherche le moyen de retourner la situation, et d'essayer avec l'espoir et l'humour du désespoir de maintenir son existence sur une route fleurie. Le regard coloré, le rire, le plaisir, l'ivresse l'accompagnent toujours. Quand je parle de désespoir, je n'exagère pas. Son comportement, sa philosophie de vie, pleine de dérision sent la fêlure. Le héros champion de tennis, d'échec, et tomber de jolies donzelles n'est qu'un petit enfant qui a peur du noir. Ce personnage m’émeut. Il a quelque chose de tragique en suspens. Mais ce qui prédomine, c'est la force de vie, la conviction que le bonheur est à portée de main, à deux, avec un peu plus de mesure, avec de l'effort, de l'écoute. Sur un fil de rasoir. Comme tout la vie. C'est une très belle pièce, qui ouvre des portes. Je suis sûr que cet ensemble d'éléments fait de cette pièce un chef d'oeuvre du théâtre de boulevard.


L'humour anglais de William Douglas-Home associé ici à la rigueur, la méticulosité de la mise en scène de Pierre Mondy, sur lesquels on saupoudre une pincée de folie de Michel Roux et nous obtenons une des pièces de théâtre comique que je préfère, un classique que je me réécoute de temps en temps.

Alligator
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le 4 oct. 2023

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