Combien de fois ai-je vu ce film? Tant et tant que ma mémoire en est très troublée. Pourtant, chaque revoyure me procure le même intense plaisir : celui de découvrir, comme un gamin ravi devant le numéro d’un magicien, qu’un dialoguiste peut porter et sublimer un film à lui tout seul, ou presque.


Oui, un dialoguiste sans acteur à sa mesure aura du mal à faire percer l’humour ou la poésie de ses phrases. Michel Audiard, Jean Gabin et Bernard Blier forment un fabuleux orchestre pour un spectacle de bons mots, une danse élégante de répliques qui piquent, avec maestria, toujours efficaces, et surtout dans une musique et un rythme parfaits. Les comédiens s’activent sans dissimuler leur joie de ciseler un si beau texte. En effet, à l’évocation du travail d’Audiard, on met davantage en lumière la vis comica de ses textes. Mais cet humour ne serait pas aussi fort et jouissif à dire pour les comédiens si de ce rythme, de cette musique des mots n’émanait pas tout simplement quelque chose qui se rapproche de la beauté, une poésie d’harmonie, équilibrée, juste, qui rend hommage à la langue française. Audiard fait de la littérature parlée.


Quant à l’histoire qui nous est contée, elle est ronde à souhait. J’entends par là qu’elle est aussi enlevée que pertinente, mais qu’elle laisse libre court à une certaine fantaisie, sans pour autant déraper dans le grotesque. Bref, elle est drôlement efficace, très juste dans le rythme, dans sa logique propre et apparaît imparable.


Les événements s'enchaînent avec une belle cadence, peut-être grâce à la maîtrise scénique de Gilles Grangier, un faiseur fort savant pour raconter une histoire, sans laisser de gras autour. Surtout, ce récit est incarné, bien vivant. Les personnages secondaires ne manquent pas. Ils servent de faire-valoirs au grand Dabe (Jean Gabin), lequel peut aisément mettre en exergue ses talents oratoires, sa mauvaise foi et sa grande gueule pour donner aux mots d’Audiard toute la puissance nécessaire. Le vieux est tout bonnement au sommet de son art de cabotin. Excellentissime. J’aimes les acteurs, mais plus encore j’aime Jean Gabin. Ici, il trouve de quoi faire montre de tout son talent comique.


Bernard Blier est à n’en pas douter un autre géant. Dans son registre de perdant qui s’ignore, il parvient à ajouter une petite dose de lâcheté, une pincée de nostalgie ou bien de salace. Il le fait toujours à bon escient, suffisamment pour accentuer le comique de son personnage, sans jamais dépasser les bornes du réalisme. Il est très fort.


On notera la présence assez impressionnante de Françoise Rosay. Avec Jean Gabin, ils nous livrent un numéro de duettistes aux petits oignons dans une discussion d’affaire virant aux anecdotes d’anciens combattants pleins de nostalgie et de tendresse pour un passé révolu.


Curieusement, le rôle de Maurice Biraud, le fameux cave qui se rebiffe, est un peu en retrait pendant une grande partie du film, intermittent disons plutôt.


Quelques passages revigorants d’une Martine Carol dont le personnage n’est plus si glamour rappellent qu’elle pouvait difficilement s'extraire du rôle de nunuche qui lui collait salement à la peau. Mais elle joue bien son personnage d’écervelée. Personne n’est pris en défaut sur sa composition.


La mécanique est bien huilée. Tout roule. Voilà une comédie française qui ne se démode pas et fait toujours mouche !


Captures et trombi

Alligator
9
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le 24 déc. 2016

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Alligator

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