Je ne sais par où commencer et où finir...


Ce film est un double instantané: la fin d'une époque (la France d'antan) et la fin d'une vie (celle d'un couple de retraités lambda).


Depuis les années 60 sévissent les envies Gouvernementale de suivre le modèle américain quant au visage de la France citadine.
Après la douloureuse opération Haussmanienne du XIXe siècle sur la modernisation de Paris (qui avait repris l'exemple Londonien mais aussi le modèle New Yorkais déjà existant avant 1836), voici venu le temps du renouveau sur nos Terres.


Ainsi, les cathédrales de bétons anonymes et monstrueuses - voulues comme le nec plus ultra pour réunir les habitants via de grands ensembles "propres et ordonnés", voués à vite devenir des "prisons insalubres" pour ses habitants dans ce qui sera communément appellés "cités" - viennent effacer les maisons individuelles ayant un fort vécu derrière elles.


Certes, ces habitations (ou ces immeubles de faibles hauteurs) n'offraient plus un "standing viable" d'après - à nouveau - le modèle américain (qui vit aussi son propre modèle s'effondrer durant les 70's, voir South Bronx et la fameuse zone autour de Charlotte Street à NYC ou encore les housing projects lugubres du Cabrini Green de Chicago) et les quartiers anciens porteurs d'Histoire plus ou moins "grande" furent progressivement inscrits sur l'horrible échiquier de l'expropriation pour "assurer un modernisme salvateur" aux yeux du monde...mais pas toujours de ses habitants.


Ainsi, Le Chat nous montre cet aspect via cette maison solitaire désormais obsolète qui servit de décor extérieur pour le film.
Cette maison était située au fond de l'Impasse Dupuis à Courbevoie (maintenant la voie souterraine dite de "L'Ancre" dans le voisinage immédiat du Quartier de la Défense) et les travaux - qui continuèrent sans relâche pendant le tournage - furent fixés à jamais sur la pellicule, nous laissant ainsi un témoignage sur la transition entre deux époques.


Les dits travaux furent décidés en 1958 avec la création de l'EPAD (Établissement Public pour l'Aménagement de la région de la Défense) qui visait non seulement à moderniser le site comme dit plus haut, mais qui avait aussi des visées commerciales stratégiques, avec en vue le fameux Quartier de la Défense et la tour CB 312 (Tour First aujourd'hui) dont la pancarte est visible à 5mn32 sur la gauche du cadre (EPAD- Tour CB 312).
Un morceau d'Histoire, donc.


Rien que pour cela, Le Chat mérite d'être vu.


Et pourtant, le sujet principal du film est terriblement humain. Il est en effet question de la fin (à long terme) d'une relation entre deux personnes âgées: le couple Bouin.


Il y a donc:


-Julien Bouin (Jean Gabin), retraité de la typographie (on devine un profond attachement à ce qui semble être le travail de toute une vie, via les multitudes de journaux conservés dans sa cave, évoquant l'évolution de cette fameuse typographie par-delà les décennies),
et
-Clémence Bouin (Simone Signoret), ancienne artiste de cirque devenue claudiquante à la suite d'un accident survenu alors qu'elle faisait de l'équilibrisme sur un filin dans un cirque. Elle aussi marque un profond attachement à cette activité au vu des photos circassiennes ornant le mur de la chambre maritale.


Julien et Clémence vivent désormais une relation morne, dont toute passion semble éteinte depuis belle lurette.


A qui la faute ?


Est-ce parce que Julien semble se moquer continuellement de l'adoration de sa femme pour les métiers du cirque ?


Est-ce parce que Clémence est devenue amère par manque d'affection (d'attention ?) ?


Un peu des deux, serais-je tenté de dire...


Mais ils paraissent résignés à vivre de la sorte jusqu'à ce que Julien se ramène un jour avec un chat errant dans les bras.
Ce fameux chat donnant son nom au titre du film, peut être vu comme l'enfant que n'a jamais eu les Bouin ou encore comme un amour perdu puis retrouvé (pour Julien) ou comme une maitresse qui vole l'affection (aux yeux de Clémence).


Dès lors, la relation maritale va se transformer en d'aigres échanges à cause de la présence de ce chat.


D'une part, Julien peut enfin donner son affection envers un autre être vivant;


D'autre part, Clémence devient la proie d'une jalousie soudaine envers cet intrus.


Après de durs mots fusant de part et d'autres, le chat fini par être exclu de l'équation via une violente pulsion de colère qui aveugle Clémence.


Dès lors, il n'y a plus de relation entre les deux époux.
Tout devient stérile et tragique...


Granier-Deferre filme à l'économie et n'a nul besoin de s'appuyer sur des dialogues inutiles. Tout (ou presque) passe par l'image: les regards, les expressions faciales mais aussi le symbolisme.


Ainsi, dès les premières images, le réalisateur nous montre la vie d'antan disparaitre (les boutiques fermées, les villas autrefois cossues maintenant abandonnées et à moitié écroulées) et s'installer une nouvelle ère. Les véritables scènes de destructions des bâtiments alentours à l'aide de boule de démolition, de bulldozer et de la danse interminable des engins de chantiers reflètent la destruction progressive des derniers liens ténus faisant figure de la relation entre les deux époux.
Cette fameuse boule de démolition symbolisera aussi l'effondrement interne de Mme Bouin, tandis qu'elle fixe les murs s'écroulant, tout comme elle de par son mari qui la quitté...


Gabin et Signoret jouent sobrement mais leur talent est tel que l'on ne peut qu'admirer leur jeu tout en finesse.
D'ailleurs, je ne vois pas qui auraient pu interpréter les époux Bouin si ce n'est eux.


Le quasi-mutisme du Jean et l'émotion de la Simone nous immergent immédiatement dans le coeur du sujet et ce, sans aucun pathos.
Tout sonne terriblement juste et pour beaucoup d'entre nous, leur jeu nous rappelle au moins une personne de notre connaissance.


Pas de happy-end mais juste une terrible vérité: sans discussion, il n'y a point de véritable couple. Et la conclusion sans fard n'en est que plus logique.


Depuis, la maison ainsi que tout le quartier environnant a été détruit (autant dans l'univers du film que dans la réalité) et ce fut la fin de tout cet endroit: bâtiments et Bouin, pour faire face à un renouveau: celui de la France défigurée et championne des divorces...


Signe des Temps ? Evolution des moeurs ? Chronique d'une époque révolue ?


Un peu tout ça, sans doute...


Quoiqu'il en soit, Le Chat est un film somme.
Le Chat est aussi un sommet dans la carrière de ses deux interprètes.
A ce propos, Gabin a toujours affirmé que ce film-ci était l'un de ses préférés. Venant de ce grand Homme, je ne peux que le croire...


A toi, Jean.
A toi, Simone.


Vous manquez au cinéma...


Final by Philippe Sarde:


https://www.youtube.com/watch?v=fz8zWsaOgUc

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le 3 nov. 2019

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The Lizard King

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