Le chat noir est un des rares films d’Ulmer, si ce n’est le seul, réalisé pour un grand studio, Universal. Le film tel que nous le connaissons ne correspond pas à celui qu’avait tourné le réalisateur puisque, effrayé par l’audace et le caractère sulfureux de certaines scènes, le grand patron de la Universal, Carl Laemmle, les fit supprimer et fit remonter le film. Cette triste affaire, très bien expliquée dans l’excellente analyse du film par Nicolas Stanzick (jointe en bonus de l’édition Elephant film) explique que le film ne soit pas toujours clair et que l’on ne comprenne pas toujours bien le sens de certaines séquences. Malgré tout, le Chat Noir reste l’un des meilleurs films de son auteur. D’abord parce que, bien que commençant de manière assez classique (un couple, suite à un accident, se trouve amené à se réfugier dans une mystérieuse demeure des Carpates), il se démarque rapidement des films d’épouvante de l’époque. En effet, il est ancré dans une réalité historique, celle des horreurs de la première guerre mondiale. À cet égard le « château », d’un modernisme architectural proche du Bauhaus, avec ses lignes géométriques et son escalier métallique, contraste complètement avec le style gothique habituel dans ce genre de production. Or, ce bâtiment extrêmement moderne est érigé sur le lieu d’un massacre accompli pendant la guerre et les deux « monstres » ne sont que les rejetons de cette barbarie. Ensuite, parce que la confrontation et le jeu de Boris Karloff et de Bela Lugosi, dont c’est ici la première rencontre à l’écran, sont absolument exceptionnels. Enfin parce que la réalisation d’Ulmer est ici à son meilleur avec des trouvailles purement cinématographique (par exemple, un plan se termine parce qu’un des personnages pose sa veste sur la caméra, ce qui obscurcit totalement l’écran, et le plan suivant s’ouvre grâce à la couverture que tire le héros pour s’endormir), des séquences absolument splendides comme celle du mausolée dans lequel sont conservés les femmes « embaumées », ou incroyablement violentes pour l’époque, comme celle où Lugosi écorche vif Karloff.