Le Château dans le ciel
7.9
Le Château dans le ciel

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1986)

Avec Princesse Mononoké, Le Château dans le ciel est probablement le plus pur film d'aventure du réalisateur. Tout y est : des héros, des batailles, des paysages, une quête, un affrontement entre le bien et le mal et des fabuleux trésors.


Mais tout ce que fait Miyazaki est grisant. Son univers, inspiré de Gulliver (Laputa étant une île volante décrite dans le livre), inspiré aussi clairement par Le Roi et l'Oiseau, dont il reprend l'esthétique pour créer ses machines et ses robots, est plus foisonnant que l'esprit d'un enfant. Tout y est un rêve de môme animé miraculeusement.


La cité de Laputa, auréolée de mystère, parvient immédiatement à susciter de l'intérêt et on rêve de la découvrir et de s'y attarder. Les vues enivrantes que nous en offre Miyazaki laissent pantois : la cité est magnifique, à la fois antique et moderne, dans un style steampunk assez unique. Sa forme, gigantesque mont Saint Michel dont la basilique serait devenue un arbre géant, évoque invariablement la mythique cité de Babel, autrement dit de Babylone et ses jardins suspendus. Que c'est beau... Le reste du monde, à cheval entre le nôtre et celui légendaire de Laputa offre aux yeux le merveilleux dont ils rêvaient : des vallées ouvrières où des mines regorgent de minéraux brillants et rares où fusent des voies ferrées surplombant des villes ouvrières, des forteresses médiévales et industrielles et des formidables machines volantes et armes de guerre, leitmotives de Miyazaki depuis Porco Rosso.


L'industrie, l'aviation, la nature, la technologie, la guerre ; des thèmes non seulement propres à l'imaginaire japonais, pays industriel qui vit de ce mélange entre tradition et modernité, et qui porte les stigmates de son histoire mais des thèmes chers aussi à Miyazaki qui les ressassent films après films en véritable auteur, sans que jamais le spectateur ne s'en lasse, ajoutant ici une pointe de culture occidentale, avec cet univers entre Swift et Jules Verne.


On pourra reprocher au film sa moins grande profondeur que d'autres du réalisateur. C'est pourtant un vrai voyage, une vraie aventure, une odysée, dans tous les sens du terme. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage. Les héros eux aussi sont en quête de leur identité : Sheeta, héritière et princesse de cette cité perdue que des générations de pilotes ont cherché et Pazu, jeune mineur et orphelin qui cherche une famille. Leur rencontre, à la fois romantique et enfantine, dans cet âge entre enfance et adolescence que Miyazaki a si bien décrit dans ses films - entre 10 et 14 ans - est magnifique ; la jeune Sheeta, comme dans un conte de fée flottante dans le ciel endormi tombe dans les bras du garçon dans une scène d'un rare onirisme. De cette rencontre improbable commencera l'aventure.


Contrairement aux dessins animés classiques, il s'agit d'un vrai film. Les enjeux ne sont pas simplistes, le sujet est ambitieux, les personnages savemment brossés. Les pirates, antagonistes du début du film ne sont pas les brutes attendues, et seuls l'armée et les agents gouvernementaux, aux allures fascisantes et militaristes paraissent tantôt idiots tantôt cyniques. Ils représentent l'Etat, incapable de comprendre la beauté de Laputa et uniquement intéressés par des motivations d'adultes : le pouvoir, l'appât du gain. Tout ce que rejette Miyazaki qui nous enjoint de garder nos rêves d'enfants. Les conversations, les dialogues, les scènes, parfois drôles, sont souvent émouvantes (une nuit dans les nuages entre les deux héros, une rencontre avec un vieux mineur plein de sagesse, les dialogues avec les pirates, tout est fin, infiniment dentellé et cotonneux). La musique de Hisaishi est comme à son habitude à la hauteur et donne la puissance émotive à l'ensemble. Mais le film sait aussi être sombre et son sujet sérieux : la technologie est un bienfait et une folie à la fois, Laputa merveilleuse et terrifiante, en témoigne la scène où un vieux robot de la cité, retrouvé sur terre, se réveille et détruit la forteresse où il était enfermé jusqu'à raser la campagne alentour. Seule l'usage d'une violence plus grande encore, en viendra à bout ; terrible engrenage que Miyazaki sait décrire en quelques images.


Le dessin est sublime. Les couleurs du ciel, les paysages, les décors, tout est aérien et délicieux à la vue. Laputa fait l'objet d'un traitement merveilleux, comme je l'ai dit plus haut et d'une scène somptueuse où le même genre de robot que décrit plus haut s'est reconverti en jardinier et ami de la nature, entretenant ce gigantesque paradis perdu seul en l'absence de ses maitres. Miyazaki n'est jamais binaire. Il montre la réalité telle qu'elle est, ambivalente. Laputa à la fin du film survie, mais mutilée, dévastée, et s'élève, comme un rêve à jamais inaccessible, plus haut dans le ciel. Voilà une belle morale pour nos enfants et pour nous-même, rien n'est ni bon ni mauvais.


Ce film est tout ce qui fait l'essence du cinéma de Miyazaki. Il nous rappelle que le dessin animé n'est pas un genre enfantin, mais du vrai cinéma, sérieux, avec des sujets, de la puissance, du lyrisme, de la mise en scène, et de l'esthétique à l'extrême. Une véritable estampe, animée par un cinéaste qui ne cesse de m'enchanter. Ce film est grisant, d'une imagination débridée et fabuleuse, fruit de l'esprit d'un adulte éternel enfant et qui pourtant nous fait sortir de la séance grandi.

Créée

le 10 mars 2014

Modifiée

le 11 mars 2014

Critique lue 712 fois

8 j'aime

Tom_Ab

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