Le Château de Cagliostro
7.2
Le Château de Cagliostro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1979)

Cagliostro est un petit État méditerranéen dont la majeure partie du territoire est recouverte d’un lac. Il n’y a qu’une seule voie d’accès : une route longiligne de bord de mer où l’eau semble être ce qui dirige la grande ligne du dessin en un mouvement musical et elliptique (celui du générique) qui rompt avec la continuité temporelle de la course poursuite de la séquence d’ouverture. Ainsi se succèdent un plan zénithal sur la mer, et un autre où les deux héros observent un bateau en marche. Le suivant ne représente qu’une fine ligne de terre traversant la mer rose colorée par le soleil levant, puis la pluie prend sa place au sein du dessin.


L’entrée symbolique en hétérotopie, par une unique route, devance la compréhension de l’organisation de Cagliostro. Deux châteaux régissent les lieux. Le premier visité est celui de Clarisse de Cagliostro, et de ses défunts parents, qui a brûlé dans un incendie (que l’on sait commis par le comte de Cagliostro, l’antagoniste). Cagliostro se donne à voir comme un espace fait de couches où les formes aquatiques ont une importance considérable. D’ailleurs c’est le lac qui dialectise géographiquement les deux natures du lieu en séparant les deux châteaux. Une opposition entre ombre et lumière est figurée par les blasons de chacun d’eux mais, plus important visuellement, un contraste entre technologie et nature est dépeint. D’un côté, le château du comte de Cagliostro est une forteresse protégée par des lasers, de l’autre, l’ancien château de Clarisse, incendié il y a des années, est complètement contaminé par la nature.


C’est avant même le générique, sous l’aurore étoilée d’un ciel méditerranéen fantasmé, que le gentleman cambrioleur Lupin III (Lupin) — personnage du manga éponyme et figure principale du Château de Cagliostro – et son acolyte Jigen fuient du casino qu’ils viennent de dévaliser, et amorcent une course poursuite qui dévoile le programme formel du film. À bord d’une Fiat 500 surchargée de billets, ils découvrent que l’argent volé est en fait de la goat money, l’oeuvre d’un mystérieux faussaire extrêmement réputé. Éjectées à pleine vitesse du véhicule, les fausses devises commencent par révéler leur flux — les billets sont identifiables un à un, toujours définis – avant qu’ils ne prennent vie en tant que matière unitaire nouvelle.


La caméra effectue un rapide travelling latéral mais est prise de vitesse par la voiture qui finit par ne plus apparaître à l’écran. Reste alors cette masse dont on sait qu’elle est une unité composée de nombreux billets mais qui change de nature par la double célérité évoquée. Il y a une propension des billets à rester liés. Ils sont parfaitement déformables à l’image du comportement des molécules qui constituent l’eau. Celle-ci sont détentrices de la cohérence des corps liquides. Cette traîne qui émane de la voiture finit par occuper jusqu’à la moitié du cadre à mesure qu’elle s’éloigne du véhicule, telles les traînées de condensation des avions (vapeur d’eau donc gaz) ou de bateaux (à la fois gaz et force exercée sur la surface de l’eau). Cela rend donc compte de l’intégration de force (vitesse) au sein de la composition même de la matière des formes (ensemble d’unité solides formant une masse aqueuse). Ici, le « sillage » comme « la trace d’une vitesse » que décrit Georges Didi-Huberman est « à la fois une empreinte (comme trace) et une modulation (comme flux) ». Ce flux donne à voir, nichée dans l’image, la propension qu’a le billet en tant que matériau, qu’unité, à être ainsi confronté à son devenir substance, pour Aristote « sunolon, l’ensemble, le composé ». L’assemblage de la forme et de la matière est « par excellence le corps vivant » selon Simondon, ici un corps aqueux. Ainsi, l’amas de billets prend vie dans la traîne du mouvement des personnages qui se dirigent inéluctablement vers le micro-État de Cagliostro. Ce mouvement même que Georges Didi-Huberman, dans une remarque à propos du travail d’Etienne-Jules Marey, propose « qu’on ne connaîtra [pas] dans toute sa précision » qu’à condition de « laisser sa place à la confusion du sillage ». On proposera ici que cette confusion est celle du projet de dépassement du principe d’identité classique des choses — « l’Un est Un » chez Platon. Concrètement, le spectateur fait l’expérience de la contamination effective d’une substance régissante du Château de Cagliostro, l’eau, sur l’identité de Clarisse de Cagliostro par la fuite de cette dernière, qui est d’ailleurs le véritable évènement de la séquence. Alors qu’elle court sur la berge, un bateau la poursuit depuis l’étendue d’eau. La traîne du bateau est également celle de la fuite de jeune fille : « la confusion du sillage » est cette fois-ci littérale. Mettre ainsi au même niveau les sujets que sont Clarisse et l’Eau, toutes les deux animées d’une vie propre, permet d’établir un discours des plus singuliers sur l’hybridité du corps-identité de la toute première jeune fille miyazakienne.


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Hétérotopie
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le 23 janv. 2019

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