Le Ciel Étoilé Au-Dessus De Ma Tête est en proie à un conflit insoluble, celui qu’incarne son personnage principal : peut-on penser le geste punk, ancré dans la contestation politique, après l’avoir mis au goût du public, lui avoir conféré une reconnaissance institutionnelle, être parvenu à le publier – et donc à le figer dans le marbre – chez un grand éditeur français (Gallimard, la NRF) ? Les coupures de presse cisèlent la spontanéité punk ; exposées dans les toilettes, elles offrent à au romancier un miroir dans lequel contempler sa gloire et constater l’inertie de sa situation présente, puisqu’incapable de recouvrer un esprit contestataire qu’il a préalablement prostitué contre du succès.


Voilà des années que Bruno n’a rien publié. Ce ne sont pas les idées qui manquent, pourtant. Il tape frénétiquement, par colère ou poésie, des bribes de réflexions, des fulgurances qui relèvent de la performance artistique, les cérémonials mis en scène pour y parvenir étant aussi importants que les mots qu’ils ont contribué à faire jaillir. D’abord, un long et raisonné dérèglement de tous les sens : perte des repères spatio-temporels, alcool, sexe sont les conditions sine qua non à une descente en soi que l’ordinateur capture par le biais du clavier. Nous, spectateurs, nous perdons d’abord dans ce dédale de pièces et d’étages reliés par des escaliers étroits ; devant nos yeux semble s’agiter un Des Esseintes vivant à l’ère numérique, l’espace se transformant au gré de ses fantasmes, à l’instar de la cuisine type asiatique. C’est un microcosme en connexion avec un macrocosme, en témoigne le titre de son ouvrage, qui constitue également le titre du long métrage.


Le Ciel Étoilé Au-Dessus De Ma Tête interroge ainsi le droit à la bizarrerie dans une société où la marginalité apparaît comme une tare à soigner, un mal dont il faut se débarrasser à grands coups de psychanalyse (et d’antidépresseurs). Mais au fur et à mesure de la progression du long métrage, la polarité axiologique tend à se renverser, l’énergumène se baladant en slip devenant plus sensible et humain que sa famille agressive et méprisante qui profite de la situation pour régler ses comptes, non pas avec la société – le propre du punk – mais avec l’individu isolé et fragilisé. Les plus fous ne sont pas ceux que l’on croit, et chacun porte en lui une forme de folie avec laquelle il est autorisé à vivre si et seulement si elle coïncide avec les mœurs du temps. Le film oppose à la constance des mœurs une mutation permanente de sa structure, traverse les genres sans jamais s’y arrêter, trouve un équilibre interne qui est celui d’un déséquilibre profond et d’un credo dans la libération des formes et des arts. Une œuvre immense, immensément punk.

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le 20 avr. 2020

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