Le corbeau est une oeuvre qui empeste.
Dès l'introduction, le cadre et l'ambiance sont posées, une malsaine odeur plane sur le village, du cimetière aux mains ensanglantées du docteur Germain.
Cette introduction résume bien le film je trouve, la mal comme élément du quotidien, inhérent à la société des hommes, mais que tous non avouent.


Avant même l'arrivée des lettres du corbeau qui mettrons à nu les personnages et leurs torts, on sent que ce monde n'est pas moral, entre le médecin chef fasciné par un cas de gangrène "exceptionnel, on dirait une blague", la soignante désagréable et moralisatrice, ou encore ce rasoir donné par une mère à son fils, qui servira à son suicide et sur lequel la caméra s'arrête, comme fascinée.
Même les enfants ont l'air, plus que touchés, carrément vecteurs du mal contrastant avec leur innocence apparente. Je pense à cette petite menteuse qui cache le papier qu'elle a trouvée pour ensuite l'observer une fois seule, ou encore Rolande qui caresse affectueusement le corbeau empaillé, une fois la porte fermée.
Tout se passe en secret, insidieux, à l'image de l'anonyme corbeau dont l'omniscience nous rend incapable de poser sur lui toute figure humaine, une sorte d'ange révélateur, comme dans cette scène où le papier descend du plafond de l'église, éclairant le visage des badauds piquant vers le haut, fascinés.


Il n'est que le symbole, en vérité, du mal dont chacun est la source, que tout le monde sais, mais que personne n'accepte. D'ailleurs cette idée transparait lors des diverses lectures de lettre, dès que l'on est accusés on accuse le tissu de mensonge ou trouve encore un bouc émissaire, et qui de mieux que celui dont le nom apparaît dans chacune.
Ironie, car celui-ci s'avouera être le plus honnête de tous, bien que son apparent n'en laissait rien supposer. Lui, homme honnête et endeuillé se forge une carapace pour mieux supporter le monde qui l'entoure, elle sera au final sa prison, jusqu'aux aveux dont le poids envolé le feront mieux apprécier la vie, tandis que les autres continuent de vouloir faire avouer celui d'à côté plutôt que lui-même.
S'avouer c'est se libérer, donnant une surprenante note d'espoir dans ce film mortifère.


Et il en va de même pour les deux autres bouc-émissaires, la soeur aux traits non aimables mais en réalité grande pieuse, ainsi que le dernier, et le plus parfait je dirais, ce bon docteur Vorzey.
Parfait pourquoi ? mais parce-qu'il est à la marge du reste tout simplement.
Plus rattaché à rien là où tous le sont à au moins un ou une, il est celui dont la mort dérangera le moins.


J'admire comment Clouzot mène ce double récit, donnant un coupable crédible notamment par la manière de le mettre en scène depuis sa première apparition, semblant toujours au-dessus de tout et s'amuser de la situation, que je met pour ma part sur le compte de la sagesse de l'âge.
Tout ceci en laissant planer un sombre irrésolu.
Car si il y a bien un coupable désigné, il n'en reste pas moins un grand flou quand à l'identité du corbeau. Des ambiguïtés qui pour moi ne sont pas incohérences mais servent le propos du film, celui d'un mal inhérent, dont la foule à besoin de se décharger car ne supporte pas sa vérité.



" le mal est nécessaire"



dira notre sage bouc-émissaire.

xaiy
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le 2 mai 2021

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xaiy

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