Votre confort est devenu votre prison : le textile à perpétuité !


Un monde qui brade, qui bazarde, qui se débarrasse d'objets qui ne servent à rien qu'à être achetés... Une foire aux gadgets, aux portes béantes, en miroir, acier et plexiglas, aux slogans péremptoires : À saisir. Liquidation. Nos prix qui pulvérisent... Comme un fragment d'un monde disparu, je me souviens encore de ces magasins où il fallait entrer, pénétrer, pour se trouver confronté avec l'achat... C'est dans des moments comme ceux-là que je mesure combien je suis loin, combien j'ai franchi de portes, de grilles, de tourniquets, à quel point je suis dans un autre monde.




"Au matin je vis avec joie mon ennemi gisant sous l'arbre." William Blake



"Le Corps de mon ennemi", réalisé par Henri Verneuil, se présente comme un thriller dramatique qui plonge dans les thèmes de la conspiration et de la vengeance. Cette adaptation du roman de Félicien Marceau bénéficie de l'association de deux talents pour l'écriture du scénario, à savoir Henri Verneuil et Michel Audiard, ce qui ne manque pas d'éveiller une vive curiosité. On suit l'histoire de François Leclercq (joué par Jean-Paul Belmondo), qui, suite à une condamnation injuste de sept années de détention pour un double homicide qu'il n'a pas commis, retourne dans sa ville d'origine pour identifier les instigateurs de la conspiration en vue de prendre sa revanche. Au-delà de l'intrigue vengeresse, ce long-métrage se révèle être une étude du capitalisme français, sur fond de machinations politiques, où on découvre les hommes qui ont réellement constitués le régime économique et social des capitaux français de l'après-guerre. Le film offre un aperçu du monde des affaires gangrenées par la corruption, dirigé par des magnats richissimes qui, ici, manipulent dans l'ombre les rouages ​​d'une ville provinciale. Un système qui exploite le financement secret des partis politiques, les dessous du paritarisme, les caisses noires des syndicats patronaux, pour maintenir un mécanisme favorable au contrôle du prolétariat, s'assurant un accroissement constant pour une propérité totale. Il dévoile également les liens du patronat avec le monde de la pègre, via le trafic de drogue et la prostitution, dévoilant à travers ces activités illicites que même les nantis et autres malfaiteurs sont des pions involontairement au service de cette élite, contribuant à enrichir cette classe supérieure. Cette vision dévoile la face la plus sombre de la haute société.


Un autre aspect particulièrement captivant de cette œuvre révèle la vie aisée de ces individus de haut rang, qui vivent en vase clos, s'associant entre les membres de différentes familles venant de cette même élite pour consolider leur sang, leur rang, leur héritage et faire fructifier leur patrimoine. Un monde radicalement différent du nôtre dépeint avec pertinence, même si certains aspects peuvent paraître caricaturaux. Belmondo dans le rôle d'un prolétaire tentant d'abord de s'introduire dans ce monde fermé en s'éprenant par intérêt de Gilberte Beaumont-Liégard (interprétée par Marie-France Pisier), la fille de Jean-Baptiste Beaumont-Liégard (interprété par Bernard Blier), alias " JBL", un baron du textile, est particulièrement saisissant. Sa quête de profit met en lumière l’ampleur de l’hypocrisie et de la manipulation qui façonnent ce monde. Belmondo cherche à assurer sa propre survie en devenant, lui aussi, un individu sans scrupules. Mais, défier l'élite n'est pas sans conséquences, et le prix à payer peut être des vies, une réalité qui le poussera, sept ans plus tard, à nourrir une vengeance ardente. L'impact sur les spectateurs est également attribuable à l'excellente interprétation des acteurs de la distribution. Ils parviennent à maintenir un équilibre subtil, évitant tout excès, et sont capables d'exprimer la gravité ou la légèreté nécessaire au moment opportun, venant gratifier les éléments dramatiques du scénario. La structure narrative du récit se distingue principalement par l'utilisation fréquente et prolongée de flashbacks. Ces éléments, au fur et à mesure de leur révélation, contribuent à éclairer l'intrigue, qui atteint son point culminant dans le dénouement final. Bien que ces retours en arrière s'intègrent harmonieusement dans le récit, il est à noter que par moments, ils alourdissent le rythme en abordant des détails qui ne se révèlent pas essentiels, comme la première rencontre de Belmondo à sa sortie de prison.


C'est dommage, car le thème abordé est tellement captivant qu'il aurait facilement pu justifier une durée plus longue. Au lieu de cela, des moments de ralentissement ont été introduits, plutôt que d'approfondir davantage le sujet en se focalisant sur les aspects les plus fascinants, une opportunité qui n'a pas été pleinement exploitée. En cela, "Le Corps de mon ennemi" avait vraiment l'opportunité de devenir une pièce maîtresse du cinéma français, à l'instar de "Casino" de Martin Scorsese pour le cinéma américain. Malgré tout, il se conserve des qualités suffisamment nombreuses pour en faire un bon film. En témoigne l'intelligente rétrospection de Belmondo, empreinte d'une nostalgie profonde et significative. Elle permet de présenter une vision constante d'un monde en constante évolution, notamment sous l'impact du capitalisme en expansion. Cette évolution est illustrée par des exemples manifestes qui, à notre époque actuelle, semblent bien modestes en comparaison, mais vont dans le sens des propos observés par Belmondo. Les dialogues savamment concoctés par Audiard contribuent à cette subtilité, insufflant une profondeur et une envergure supplémentaire aux personnages et à l'intrigue. Le tout se déroule dans une époque minutieusement présentée grâce aux décors méticuleusement conçus par François de Lamothe, situés dans la métropole lilloise. La trame du thriller se révèle véritablement captivante, dévoilant progressivement les tenants et les aboutissants de l'histoire via une emprise fataliste. Les rebondissements sont enrichis par l'apport mélodique essentiel de la composition musicale de Francis Lai. Toutefois, une pointe de déception réside dans la relative "facilité" avec laquelle Belmondo parvient à identifier les responsables de sa chute. En effet, malgré un final habilement mis en scène, le plan de Belmondo visant à faire tomber l'élite semble trop simple, ce qui diminue la complexité de la situation, mais n'empêche nullement le film de terminer en beauté.



CONCLUSION :



"Le Corps de mon ennemi", réalisé par Henri Verneuil, est un thriller aussi intelligent que captivant grâce à une intrigue savamment construite, des dialogues percutants et une interprétation convaincante de la distribution. Le film aborde de manière convaincante les thèmes de la vengeance, de la conspiration et de l'évolution de la société face à l'impact transformateur du capitalisme sur la France d'une époque révolue. Il nous invite à réfléchir aux changements sociaux et économiques de cette période. Malgré quelques petits bémols, cette œuvre reste une pièce solide du cinéma français, même si elle avait tout pour devenir l'une de ces pièces maîtresses.


Quelques secondes arrachées au désespoir, quelques secondes où ce que nous faisons rime enfin à quelque chose.



Ce qui est inadmissible, intolérable, dans cette ville qui est la nôtre, c'est que vos patrons soient devenus vos propriétaires. Propriétaires au sens littéral du mot. Vous leur appartenez.


Créée

le 3 nov. 2023

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