Le film se déroule le jour où Vincent (Jonathan Zaccaï) retrouve Noémie (Agnès Jaoui), la première femme qu’il a aimée et qui l’a quitté du jour au lendemain trente ans plus tôt. Depuis, Noémie est devenue scénariste à succès et Vincent, directeur d’une école de cinéma. Vincent a invité Noémie pour parler de cinéma, mais pas que. Et puisque c’est du cinéma, Noémie est une oratrice brillante, qui déroule une théorie du scénario réussi devant un jeune auditoire de plus en plus conquis et nombreux à mesure qu’avance la masterclass. Et puisque c’est du cinéma, tous les personnages referment les portes du passé tout doucement à la fin de la journée.

Le cours de la vie articule trois éléments. Premièrement, il est une mise en récit du livre d’écriture de son scénariste, Alain Layrac. Écrire les histoires de demain d’après « Jaoui-Layrac », c’est être non seulement observateur et observatrices, mais aussi interprètes de la réalité qui nous entoure ; et puis c’est surtout connaître et aimer les personnages que l’on écrit. Le film déroule ensuite l’histoire de Vincent et Noémie : une histoire simple sur la vie qu'on avait imaginée, celle qu'on a eue, morcelée des lettres qu'on a écrites ou rêvées, de celles qu'on a lues et celles qu'on a décidé de ne pas lire. Enfin, il développe une galerie de personnages (plus ou moins aboutis) : l’étudiant jaloux (énergie Paul McCrane dans Fame) qui oscille entre une intelligence qu’on imagine autre que scolaire et une touchante bêtise du cœur ; l’étudiant musicien à l’aise dans le lit de toustes ses camarades (énergie Porthos à la sauce Marmaï) ; l’étudiante boudeuse (Léa Seydoux qui aurait troqué le bleu pour du rouge) qui gagne sourire et baiser à la fin de la journée ; le restaurateur scénariste qui nous dit que c’est toujours les mêmes qui jouent et qui gagnent ; et puis le personnage de Géraldine Nakache, prête à se remettre de tout parce que la vie lui a déjà offert beaucoup, prête à tolérer et continuer à aimer son beau-frère même s’il déconne sec ces derniers temps.

Comment expliquer qu’un film vous touche, quand bien même les ficelles qu’il tire sont trop apparentes, scolaires, voire même ennuyeuses ? Tout cela en affirmant en plus à autant de niveau qu’il sait c’est qu’est un bon scénario ? Je crois que ce film touche, parce qu’il sait appliquer l’un de ses recommandations (d’ailleurs l’une des plus belles recommandations que l’on puisse faire aux scénaristes) : il faut aimer ses personnages, les aimer vivants, c’est-à-dire regarder leurs erreurs avec tendresse.

Une scène du film pour illustrer cette idée. Une autre masterclass a récemment été prise comme objet filmique dans l’acclamé Tàr de Todd Field. Mais là où Field faisait faire à Lydia Tàr une impressionnante démonstration de la totale imperméabilité de la culture classique aux considérations animant une jeune personne non binaire en 2022, Frédéric Sojcher nous offre une scène tendre et simple. Là où le réalisateur aurait pu à nouveau faire se jouer la confrontation entre les préoccupations de la jeunesse et une féministe du siècle (dé)passé, il propose une scène comme devrait être la vie : deux personnes se rencontrent, se comprennent et accordent à l’autre le droit de savoir ce qui est bon pour elles-mêmes. Caster Agnès Jaoui pour jouer ce personnage-là devait être une évidence, tant c’est à cela qu’elle a consacré sa vie d’actrice : endosser des rôles qui prennent au cœur, mais qui rassurent tout à la fois, comme une main sur le front et un sourire sincère un soir de doute. Ces dernières années, elle nous montre que vieillir est beau et simple si l’on se regarde avec tendresse, si l’on sait rire de son sort, pardonner à celles et ceux qui nous entourent et les aimer. Personne dans le cinéma francophone ne sait aujourd’hui si bien incarner cet âge de la vie où les enfants ont grandi, où l’on sait mieux qui l’on est, où l’on commence peut-être même à compter les années à l’envers, et où l’on peut s’accorder le droit de se réinventer une nouvelle fois.

Odilon-Raymond
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le 3 nov. 2023

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