L'autre jour j'ai vu ce film, et je dois dire que je reste mitigé sur la position du réalisateur. Il y a ce côté très naturaliste ; les personnages vivent leur vie dans cette campagne et la caméra n'est que témoin pour ce film quasi-documentaire. Et d'un autre côté il y a clairement des plans travaillés, des zoom, des mouvements de caméra étudiés pour raconter une histoire, un montage. Documente-t-il une France disparue (et pas si disparue que ça, en réalité) ? Souhaite-t-il nous donner une leçon d'humilité ?
Le film est très sobre, il y a presque aucun échange verbal, peut-être que ce couple d'anciens parlent un vieux patois "hé il est bon l'café". On reste presque tout le temps à l’intérieur de la maison ou de la forge, sans trop comprendre comment est organisée la ferme et les environs.
Lorsque j'ai visionné ce film j'étais assez fatigué, mais pas assez pour que morphée m'emporte, m'voyez ? et étant donné que j'avais un peu une idée du film, je me suis dit qu’il collerait bien à mon état du moment. Peut-être n’aurais-je pas dû, parce que certains détails ont titillé ma susceptibilité et au moins un dont je veux parler un peu :
Déjà je n’ai pas tellement apprécié la façon dont la grand-mère est introduite, d’une manière assez voyeuriste. Le premier plan pour l’introduire est un gros plan sur ses mains épluchant ce qui semble être une patate. On voit immédiatement qu’il lui manque l'index, un moignon bien visible, et cette insistance même sur les plans suivants m’a paru indélicate. Bien sûr, filmer les mains et les outils de travail, comme le réalisateur filme Jules dans sa forge fait partie du propos, mais j’ai eu le sentiment que le film appuyait une vulnérabilité physique comme si je devais être absolument touché par cette rudesse et sobriété campagnarde d'existence. Je l'ai pris sur le coup comme une leçon de misère. Pourquoi ne pas avoir introduis Félicie d’une manière moins grossière et plus respectueuse, en laissant le spectateur découvrir sa main au fil du film ? Pourquoi par exemple ne pas avoir filmé d'elle en premier son regard appliqué à la tâche ? Bref, peut-être que je chipote...
Le son est également de mise dans ce film, bien que je ne pense pas qu'il y ait une volonté d'un travail de précision dessus. Malheureusement pour mes oreilles, écoutant le film sur des gros moniteurs, le bruit régulier du marteau sur l'enclume faisant vibrer une même fréquence bien sourde, ronde et puissante, m'a usé à la longue. (Et dire que beaucoup de forgerons devenaient sourds ou partiellement sourds à cause de ce tintillement). L’ambiance et l’immersion dans la campagne étaient là, mais l’expérience a été un peu agressive.
J’ai grandi en ville, ma mère a grandi en campagne et mon père à Paris. Je n’ai pas connu ce mode de vie-là. Je ne sais pas quoi en penser, si je suis “d’accord” ou pas avec cette existence dans l’absolu. Mais je me demande si, en tant que spectateur, il y a quelque chose de romantique, comme une existence manquée pour ne pas avoir vécu cette vie-là. Et on revient à l’intention du réalisateur : une leçon d'humilité ? un hommage bienveillant ? ou, quand on est un garçon des villes comme moi, une capsule temporelle d’un temps qui semble n’avoir jamais existé, qu’on regarde avec curiosité, comme on regarderait la lune à travers des jumelles ou un bel animal coloré derrière une vitre au zoo ?
En tout cas, depuis quelques jours cette image du film me reste, ce plan où la caméra recule lentement sur ce couple assis devant le poêle à bois, penchés, mémé buvant son café et pépé la clope au bec. Un temps suspendu, une douceur triste, l'abnégation.
Le film est noté 8, donc je vais à contre-courant avec ma note, même si elle reste sur le versant positif. L’autre jour à chaud, j’aurais probablement mis 5. Je peux reconnaître l’ambition formelle du film et une forme de beauté dans les cadres, mais je reste réservé devant certains choix trop appuyés et un propos qui me semble parfois maladroit ou flou.