Derrière une caméra, Ridley Scott n'a jamais fait son âge, tant presque chacun de ses films ressemble à une folie de jeune homme qui réussit à nous entraîner dans son monde. Et puis, il faut bien avouer que lorsqu'il fréquente la fresque historico-épique, pas grand monde n'est capable de l'affronter en duel. Gladiator, Kingdom of Heaven, Les Duellistes, Exodus : Gods and Kings, autant de réussites évidentes et d'immersions en forme de machine à voyager dans le temps, fruits de recherches acharnées et méticuleuses.


Le Dernier Duel ne joue cependant pas exactement, peut être, dans la même cour. Même si le contexte et la photographie peuvent faire penser à Kingdom of Heaven avant qu'il ne se lance dans sa croisade. Ou encore à Gladiator, le temps de quelques scènes de batailles brutes et sans concession.


Le propos de Sir Ridley est bien ailleurs, comme la première scène l'affirme au spectateur, en imposant sa figure féminine comme la pierre angulaire de son récit, venant opposer les deux hommes qui la convoitent.


Et Scott de déployer, pour explorer son récit, une narration à la Rashomon qui confronte le regard de ces deux anciens amis sur la situation, comme s'ils passaient tour à tour à la barre d'un quelconque tribunal, royal, civil ou religieux, pour exposer leur cause et demander réparation de ce qu'ils subissent. En découle un véritable puzzle, une forme ludique et intéressante dans laquelle le spectateur, plongé dans ces deux subjectivités, essaie de remettre chaque pièce en perspective dans le tableau global. De dénouer le vrai du faux, le récit trompeur ou enjolivé de la réalité, ne cessant de balancer entre ce qu'aurait réellement vécu Marguerite de son attitude ou de ses mobiles éventuels.


Jusqu'à cette troisième partie absolument formidable qui, si elle cède beaucoup à l'abandon de l'ambiguïté des faits, n'en exécute pas moins la peinture scotchante d'un univers médiéval en forme de prison pour la femme, dans toute l'acception du verbe "prendre".


Et Ridley Scott, dès lors, de révéler, par ces deux hommes-là, la véritable instrumentalisation du récit, comme on instrumentalisait la femme au Moyen-Âge, comme c'est parfois encore le cas aujourd'hui malheureusement.


De sorte que Le Dernier Duel tend à notre temps un triste miroir, tant certains aspects n'ont pas changé dans leur problématique, malgré le passage des siècles. Et que la condition de victime peut encore parfois être niée avec force. Ainsi, alors que le film est ancré définitivement dans le médiéval, celui-ci n'a jamais semblé aussi actuel, preuve du caractère universel du propos, alors que les cache-misères hypocrites et mainstream post #metoo que le masqué abhorre ont déjà sombré corps et biens depuis belle lurette..


En résulte toute la tragédie du personnage de Marguerite, ô combien forte mais réduite à l'état de possession, de mauvaise poulinière, d'objet de concupiscence, dont la voix n'est entendue que lorsqu'elle partage la fureur de son mari et son désir de rétablissement de son honneur bafoué.


En résulte les mêmes obstacles face au drame, les mêmes négations, les mêmes personnes qui se détournent et les mêmes doutes émis, injurieux, sordides et honteux, conjugués au poids de la religion et des luttes de pouvoir dérisoires. Faisant que, dans la tête du spectateur, s'effacent progressivement les figures de Carrouges et Legris, bien peu chevaleresques, pour ne plus laisser exister que la sublime Marguerite, portée par une Jodie Comer formidable.


Et s'il reste cependant, peut être, une zone d'ombre dans ce récit, sur laquelle Legris s'étend à l'envi, et que Marguerite passe sous silence, Ridley Scott signe, avec Le Dernier Duel, une oeuvre forte, frontale et magistrale démontrant que le combat est loin d'être terminé.


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