En cette année 2021, la recherche de vérité, qu’elle soit divine, humaine ou intime, a été un leitmotiv assez récurrent. On l’a vu dans Benedetta de Paul Verhoeven avec son personnage de religieuse prêcheuse face à l’institution masculine, dans France de Bruno Dumont avec sa star des plateaux de télévision qui s’approprie ou feint des émotions qu’elle ressent ou non. Puis vient maintenant Le Dernier Duel de Ridley Scott : film construit comme l’était Rashômon, qui s’évertue par ses changements de point de vue et ses multiples reconstructions de scènes, à façonner une vérité qui devient de plus en plus tangible plus le film avance. Trois films, pour un même son de cloche : le combat d’une femme face à la société qui fait face à elle. Quelle que soit la temporalité, les rapports de domination n’ont pas évolué.


Le Dernier Duel mesure la température de son époque en s’accaparant la thématique #MeToo et la libération de la parole de la femme. Dans son environnement moyenâgeux, patriarcal et froid où le sang gicle de manière rustre et clinique, le scénario écrit notamment par Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener arrive à rendre passionnantes des thématiques modernes dans un contexte historique non contemporain, plus proche du triangle amoureux que de l’épopée guerrière. Certes, tout n’est pas d’une grande subtilité, souvent à charge mais le récit a l’intelligence de passer par des chemins de traverse précis et multiples pour ne pas tomber dans un anachronisme thématique vain. La parole donnée aux femmes, la propriété du corps, la violence puis la culpabilisation qui s’ensuit et leurs places dans la société qui nous est dépeinte, passent également et surtout par un questionnement sur le code d’honneur et la dignité de l’homme, sa recherche perpétuelle de pouvoir, la sexualité et l’ivresse de l’époque, les hiérarchies sociales puis cette candeur chevaleresque désuète qui voudrait voir un homme se battre pour sa promise avec des motivations romantiques, notamment celle de sa bravoure « inée ».


C’est là tout le sel du film qui épouse parfaitement les rouages de son récit : celui d’une écriture qui brûle et crache sur la notion de conte pour assouvir sa propre vérité. Le battement de cœur du dernier Ridley Scott se veut être finalement, deux hommes qui vont se battre piteusement mais brutalement pour une femme mais également pour leur honneur : entre le rustre pathétique en mal de reconnaissance et le dandy prédateur de la cour aux pulsions plus que troubles. Reste à savoir si la femme et leur honneur se substituent l’un à l’autre ou s’ils ne font qu’un. Dans cet épouvantail narratif assez dru et qui ne manque pas de densité, l’œuvre a pour elle bien des lectures apparentes : celle premièrement d’un film d’époque, compact, rugueux et foisonnant visuellement où le casting impeccable, la direction artistique de Ridley Scott et son sens du cadre ne cessent de nous éblouir avec cette capacité habituelle à filmer la foule, l’immensité et rendre viscéral le pouls d’une époque.


Deuxièmement, on peut l’observer comme un film de scénariste où Matt Damon et Ben Affleck essayent de flatter et rendre hommage aux mœurs de leur temps, avec facétie, hypocrisie comme si ce chapitre leur servait à faire amende honorable mais avec malice notamment grâce à la prestation tout en nuances de Jodie Comer et son dernier tiers dénonciateur. Puis, troisièmement, et c’est sans doute cela le plus passionnant, voir une nouvelle fois un cinéaste construire et déboulonner son passé. Après avoir balayé l’aura d’une franchise avec le merveilleux et tentaculaire Alien : Covenant, le réalisateur de Gladiator, Robin des bois, Exodus et Kingdom of Heaven, retrouve les chemins des épopées médiévales ou historiques qui suintent le sang, la gloire et l’honneur de la « camaraderie guerrière » : pour mieux les fracturer.


Mais cette fois-ci, fini les musiques langoureuses sur une main qui caresse des champs de blé, pour vanter la vengeance, la rédemption et l’héroïsme du guerrier viril et détruit par le destin. La noirceur et la misanthropie du papa de Cartel parcourent les veines d’un film qui n’aura cesse de triturer ses personnages, de les malaxer, de les essorer et de dévoiler leurs véritables ou faux visages : le chevalier n’est plus qu’un amas de chair à la manipulation putride et à la soif de renommée sociale. Visage sombre, antipathique et violent, dans un film qui aime ricaner où la vérité du regard ne fait foi uniquement que pour celui qui la voit ou croit la comprendre, à l’image de la scène de viol, qui nous est montrée en deux temps.


Deux regards différents, deux manières de vivre la situation. Malgré le parti pris, Le Dernier Duel évite les redondances, pour faire fourmiller son récit de détails, tout en nous obligeant à nous questionner sur la véracité de ce qui se déroule à l’écran, comme lors de toutes ces scènes festives et luxurieuses de la deuxième partie de film. Le reflet du miroir n’est il pas biaisé ? Puis vint alors les deux grandes séquences : celle du procès, et celle de la confrontation finale, un combat à mort majestueux et boueux dont la glorification finale face à la liesse populaire sera marquée par le sceau du mensonge et de l’un et de l’autre. Une justice divine en trompe l’œil… laissant la femme et sa vérité dans l’ombre. Un cercle vicieux éternel… de faux preux chevaliers.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
8
Écrit par

Créée

le 19 oct. 2021

Critique lue 1.1K fois

31 j'aime

3 commentaires

Velvetman

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

31
3

D'autres avis sur Le Dernier Duel

Le Dernier Duel
lhomme-grenouille
2

Le duel de trop

L’Histoire retiendra sûrement que la carrière de Ridley Scott a commencé avec des Duellistes et qu’elle s’est finie sur un Dernier duel… …un duel de trop. Alors oui, bien sûr, d’autres films du...

le 13 oct. 2021

89 j'aime

98

Le Dernier Duel
Behind_the_Mask
9

Prendre femme

Derrière une caméra, Ridley Scott n'a jamais fait son âge, tant presque chacun de ses films ressemble à une folie de jeune homme qui réussit à nous entraîner dans son monde. Et puis, il faut bien...

le 13 oct. 2021

75 j'aime

16

Le Dernier Duel
Maxime_T__Freslon
9

Quand c'est bon, c'est bon Duel.

Premier plan d’ouverture : une femme se faisant habiller par ses servantes d’une robe noire, la caméra de Ridley Scott la filmant de dos avec pudeur et avec une forme d’austérité visuelle et musicale...

le 14 oct. 2021

74 j'aime

17

Du même critique

The Neon Demon
Velvetman
8

Cannibal beauty

Un film. Deux notions. La beauté et la mort. Avec Nicolas Winding Refn et The Neon Demon, la consonance cinématographique est révélatrice d’une emphase parfaite entre un auteur et son art. Qui de...

le 23 mai 2016

276 j'aime

13

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Star Wars - Le Réveil de la Force
Velvetman
5

La nostalgie des étoiles

Le marasme est là, le nouveau Star Wars vient de prendre place dans nos salles obscures, tel un Destroyer qui viendrait affaiblir l’éclat d’une planète. Les sabres, les X Wing, les pouvoirs, la...

le 20 déc. 2015

208 j'aime

21