Après avoir longtemps éprouvé une certaine défiance envers Le Totem du Loup (2004 - livre le plus lu en Chine après Le petit Livre Rouge de Mao), les autorités chinoises ont contacté Jean-Jacques Annaud pour en diriger l'adaptation au cinéma. La mise en avant des dissensions avec le Tibet et du Dalai-Lama, au travers d'un des grands succès épiques d'Annaud (Sept ans au Tibet avec Brad Pitt) semble donc ne plus poser problème ; après tout presque deux décennies sont passées. En revenant au cinéma d'aventure 'animalier', Le Dernier Loup est l'occasion pour l'auteur de L'Ours et du Nom de la Rose de renouer avec le succès après deux échecs consécutifs, dont l'un très profond (Sa Majesté Minor).


C'est une réussite en dépit de nombreuses nuances à poser. Le dernier Loup ne dépayse pas par rapport aux classiques d'Annaud, tout en étant moins mièvre que Deux frères. Les moyens colossaux déployés donnent un résultat éloquent à l'écran : les loups, supervisés par l'entraîneur intervenu sur le film Loup de Nicolas Vanier (Andrew Simpson), semblent de véritables acteurs alignant leurs chorégraphies et leurs instincts sur les besoins du métrage. Comme toujours avec Annaud (à l'exception du premier film, Coup de tête, le seul à ne pas se situer dans le passé), le spectacle est techniquement éblouissant et perfectionniste (même Or noir, malgré son manque de 'goût', ne faisait pas défaut sur ce plan).


Annaud donne une dimension relativement mystique aux loups, au travers d'envolées kitsch et grâce à la sacralisation sans idéal de la Nature. Celle-ci a un rôle de temple souverain, à perte de vue, régulateur des espèces et du vivant, ensemble infini mais pas 'personnage à part entière'. S'il y a de la place pour s'attendrir (comme le fait Chen Zhen en adoptant un louveteau), l'accent est mis sur la réciprocité, la tradition et l'organisation. Les enjeux non-narratifs sont assez mûrs, la dimension politique du livre est présente : Annaud arrive à trouver un équilibre, sans risquer de fâcher la Chine qui est son principal financeur (le film est franco-chinois). L'analogie entre les loups/mongols et les bergers ou moutons/chinois est claire.


Les mongols doivent leur autonomie et leur puissance aux leçons prises chez les loups, animaux de meutes, structurés et insoumis au-delà de leur espèce. Dès Gengis Khan, les mongols apprennent de leurs méthodes (et instincts) l'art de la guerre. Le film n'épilogue pas sur les chinois, mais fait sentir l'infirmité de ce peuple sur ce plan ; le livre pointait le manque de fougue, de fierté, de disposition à s'affranchir de ses maîtres, qui seraient autant de barrières à la croissance et la dignité du chinois du quotidien. Les incompatibilités entre les cultures chinoises et mongols sont soulignées, l'ingérence des chinois (incarnée dans ce cadre précis par Bao Shunghi, pêchant par orgueil et empressement, typique du colon sourd et optimiste) nuisant à la stabilité de la steppe.


Les conventions des superproductions sont honorées, globalement sans écraser ce qui fait la richesse du film. Il y aura bien la demi romance contrariée (absente du roman) mais son importance reste mineure. Tout de même, le dernier tiers est plein de superflu, flanqué de biais au rabais ; la bande-son (signée James Horner) est (jolie mais) formolisée, polissant et tiédissant l'éclat brut des paysages et du travail titanesque entrepris par Annaud et ses troupes. Il faudrait plus de profondeur et d'ampleur du côté des humains pour faire du film un chef-d’œuvre ; et l'absence de nouveauté dans le style pousse encore à la modération ; mais toutes ces ambitions et ce déluge de somptuosités (avec quasiment 0% de recours au numérique) portent aussi leurs fruits. Le dernier loup est un 'grand' spectacle orchestré avec génie, prompt à susciter un ravissement enfantin, doux et implacable.


https://zogarok.wordpress.com/2016/01/15/le-dernier-loup/

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le 14 janv. 2016

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