Ou comment entremêler les fantasmes et les inspirations littéraires. Effectivement, dans ce film, Bertolucci aborde un sujet qui est, je pense, aussi profondément universel que refoulé : l'instinct primal replacé en maître des rapports physiques, et non les formes romantiques auquel nous les avons attribués. Est-ce encore seulement possible ? Peut-on encore se créer un nid d'amour, à l'abri du monde, et surtout à l'abri des sentiments ? Peut-on accomplir notre désir de nihilisme jusqu'au bout avec l'autre ? Un parallèle hyper intéressant entre ces réflexions jouissivement sauvages et le rapport du cinéaste au cinéma se crée également : jusqu'où le personnage de Jean-Pierre Léaud, brillant, va-t-il se réfugier dans ce nid isolé qu'est sa création, peut-il réduire sa vie uniquement à cette obsession, peut-il faire alors abstraction des attentes de sa copine ? On peut difficilement faire plus opposé au personnage de Marlon Brando, pourtant ; sans création, il ne lui reste que le remords, et ce besoin insurmontable de vaincre ses tortures via ses désirs de Néant.
Le propos du film est loin d'être vide de sens, et se révèle de plus en plus intéressant au fur et à mesure que cette pièce d'appartement délabrée et abandonnée se révèle dans toute sa magnificence de prison dorée, illustrée par une lumière sublime. Que dis d'ailleurs la dernière réplique ? "Je ne sais pas qui c'était...". On n'aime que des étrangers ; seuls des inconnus intimes nous apportent de nouvelles visions. Est-ce le seul moyen de se protéger des pièges sentimentaux ? Marlon Brando, plus détruit que jamais, et Maria Shneider, qui contraste violemment jusqu'à la fin, portent ces idées avec un brio remarquable. Le problème, c'est que ces idées sont tuées, déjà par un traitement très sexiste, qui a déjà beaucoup vieilli. C'est toujours la Femme qui accourt après l'Homme, surtout en insistant qu'elle accepte la peine qu'il lui inflige... Je suis très loin d'être bien-pensant, mais la misogynie peut se révéler très perturbant sur certaines séquences, dont la fameuse sodomie avec le beurre, dont l'authenticité est visible à l'écran. Autre problème majeur, le rythme : introduction trop rapide, tout le reste est dilution. Les monologues ont beau être réussis, ils sont trop nombreux. Le pari du huis-clos à la fois ténébreux et solaire n'est malheureusement pas tenu jusqu'au bout, et on se retrouve devant un film qui a tellement de choses intéressantes à dire qu'il n'arrive finalement qu'à évoquer ces idées, et rarement à les illustrer efficacement autrement qu'avec son esthétique.
En somme, c'est un beau film, qui a certainement besoin que je le revois à nouveau. Je suis également persuadé que, devant un grand écran, l’impression n'est pas la même. Il n'empêche qu'au lieu d'un beurre salé, on se retrouve un peu devant un beurre noir au final...