Aldo Lado se sert d’un prétexte des plus anodins pour porter l’effroi et la sidération au cœur de son film. Deux jeunes femmes quittent l’Allemagne pour se rendre en Italie afin de passer les réveillons de fin d’année avec la famille de l’une d’entre elles. Leur voyage en train va toutefois prendre une tournure hitchcockienne : elles vont croiser de parfaits inconnus dont la sadisme et l’immoralité transforment instantanément leur périple en bal des horreurs. Les liens de parenté avec L’Inconnu du Nord-Express semblent évidents : le diable croisé par hasard, le train et un propos qui vise à secouer les conservatismes.


Car si Alfred Hitchcock s’amusait à employer ses deux antihéros dans une allusion à peine voilée à l’homosexualité, Aldo Lado inscrit son film, parfois insoutenable, dans une Italie où se maintiennent vaille que vaille puritanisme et conformisme. Mieux, les tortures et viols que s’apprêtent à subir les deux jeunes femmes sont peut-être davantage imputables à une bourgeoise abjecte et manipulatrice qu’aux deux « marginaux » (c’est ainsi qu’Aldo Lado les décrit) qui les perpétuent. Le message sous-jacent est clairement exprimé par le réalisateur italien : il s’agit de témoigner d’une société où les plus fragiles sont objetisés et utilisés pour satisfaire les appétits des plus puissants.


La Bête tue de sang-froid peut se prévaloir de plusieurs sophistications qui justifient à elles seules sa vision. Il y a bien entendu l’ambiance anxiogène, façonnée à l’aide de filtres colorés (dont le bleu, très prégnant) et d’une ritournelle jouée à l’harmonica ; il y a ces plans mémorables sur les visages, sadiques, terrorisés ou évanescents ; il y a enfin ces métaphores, perçues dans un montage alterné entre un repas dans la haute société et les événements effroyables du train, ou lors de la première scène de sexe quand les corps se mélangent au même rythme que les rails s’entremêlent.


Que dit La Bête tue de sang-froid de la violence ? Qu’elle est dictée par les bourgeois et les puissants, comme Aldo Lado l’exprime clairement dans les bonus de l'édition DVD. Que les discours visant à promouvoir l’importance des parents, de l’école ou de l’éducation trouvent leur limite face à une sorte de fatalisme résigné. C’est en tout cas ce que laissent entendre les paroles prononcées par le Professeur et père de famille du film, une fois mises en parallèle avec le calvaire vécu par sa fille. Le mal n’est définitivement pas semblable à celui, tumoral, que le chirurgien extirpe des corps cancéreux, et même le noble médecin va sombrer dans un accès de folie vengeresse. On le voit, Michael Haneke n’a rien inventé avec Funny Games : l’essentiel du sadisme sur grand écran est déjà inscrit dans l’ADN de La Bête tue de sang-froid. En sus, le spectateur, voyeur comme chez Haneke, et clairement personnifié par un passant dans le train, prend ensuite part au massacre à travers lui – avant de le dénoncer hypocritement.


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le 2 oct. 2020

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