En quête de la paix et ne trouvant que le vide... au mieux...

Soit un homme en train de fuir une guerre qui fait rage, retransmise par des écrans géants archaïques, semblant tout droit sortis du film d’Armand Gatti, « El otro Cristobal » (1962)... Riche du pécule que lui a fait remporter son succès à un concours d’imitation de Charlie Chaplin, il fuit Montréal et son bilinguisme franco-anglais, revêtu des habits du comique, et chargé du même ballot.


Les visions de la guerre, pareilles à des images d’archives, jalonnent le film de loin en loin et inscrivent leur noir et blanc de deuil en contraste avec les bruns et sépias qui dominent, le reste du temps. Qu’elles donnent à voir des soldats, des villes ou des populations civiles en déroute, elles sont terribles, et rappellent ce qui doit être fui. Mais au profit de quoi...?


Le scénario, implacablement construit, accompagne la fuite du héros, sa course éperdue, le plus loin possible de la ville, du monde, presque. Un premier temps le confrontera au vide, sa progression vers des plaines sauvages, bordées de montagnes impassibles, ne le menant qu’à une solitude finalement aussi terrifiante que l’humanité meurtrière dont il souhaitait s’éloigner. Le « déserteur » au désert... Vide, froid, neige imprévisible, aussi sournoise qu’un attaquant qui s’avancerait camouflé...


L’humain, de fui qu’il était initialement, se retrouve attendu, espéré... Mais les figures qui surgiront, incarnées - avec une jubilation secrète mais perceptible - par Redah Kateb, Sarah Gadon, la chanteuse Soko, Romain Duris puis Cody Fern, se révèleront au mieux superbement ambigües, au pire effroyablement démoniaques. Qu’attendre, que craindre, dès lors, de l’humain, capable d’être sauveur, rédempteur, tout aussi bien que fou, cruel, vecteur d’avilissement et de mort ?


Martin Dubreuil, qui prête ses traits au personnage de Philippe-Charlot, donne vie comme personne à cet homme aux abois, sur le visage duquel passent toutes les nuances de la terreur et de la déréliction. La musique, superbe, d’Olivier Alary, étire ses longues notes angoissées discrètement modulées, telles les plaintes du chien-femme dont on croise la souterraine trajectoire. Une mélopée folk aux accents nostalgiques vient parfois faire entendre une voix humaine, tout aussi déchirante. Et la photographie de Sara Mishara, somptueuse, recueille la beauté du monde, à travers les grands espaces du Nevada où le tournage eut lieu en partie, mais, par ses tons de terre en lesquels toute couleur semble s’être fondue, elle offre également ses plus belles lettres de noblesse au sol, à la boue, à la fange...


Pour son quatrième long-métrage, le réalisateur québécois Maxime Giroux signe un magnifique cauchemar cinématographique, qui tout à la fois pose la monstruosité de l’homme, mais signale aussi son irrépressible attente.

AnneSchneider
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le 22 juin 2019

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Anne Schneider

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