De par son ampleur romanesque le film d’Uchida fait penser aux grands polars d’Akira Kurosawa. Tirant sa puissance de ces constantes digressions, c’est par un procédé de mise en scène habile mêlant classicisme narratif, une enquête qui s’étend sur une décennie, et portrait social des fondements de la société japonaise, ici une critique à peine maquillée du capitalisme et de ses sources délétères.


Là où le film captive, en s’échappant d’emblée du schéma narratif habituel de ce genre d’œuvre, c’est dans ce revirement incessant du script, passant de l’histoire de base avec ces trois malfrats qui tentent d’ échapper à la justice après avoir commis un hold-up doublé d’un incendie après avoir au préalable assassiné une famille entière à un constat de la difficile vie d’une prostituée bohème dans le Japon d’après-guerre, puis à revenant ensuite à l’enquête initiale menée dans un premier temps par un vieux commissaire poitrinaire interprété par Kôji Mitsui, l’un des acteurs fétiches de Kurosawa, puis une décennie plus tard par un jeune inspecteur ambitieux à qui Ken Takakura prête ses traits.


J’avais déjà été captivé par l’ampleur du travail de cet excellent réalisateur qu’était Tomu Uchida dans deux de ses œuvres précédentes, les extraordinaires et fascinant Le Mont Fuji Et La Lance Ensanglantée et Le Passage Du Grand Bouddha. Grandioses de par leur ampleur et leur durée et magnifiquement mises en image, elles étaient en plus doublées d’une réflexion sur leur époque respective en omettant jamais d’apporter ce souffle épique de la grande aventure qui donne à toute œuvre sa dimension romanesque.


Avec Le Détroit de la Faim on retrouve l’un des thèmes récurrents de l’œuvre d’Uchida avec ses personnages qui malgré leur volonté de s’abstraire de leur passé en reste prisonniers. Le grand thème de la fausse rédemption prend ici une dimension politique non dissimulée, avec ce criminel qui finit par devenir un puissant patron. Un acte assassin commis à la fin de guerre, au moment où les cendres du Japon défait par la guerre sont encore fumantes qui à des conséquences sur le destin d’un puissant de ce monde plusieurs années plus tard. Ceux qui on profité du boom économique l’aurait fait au détriment du malheur des autres… cette idée trouve son apogée dans un final dantesque dans lequel le passage d’un navire creuse un sillon infini dans la vaste étendu océane.

philippequevillart
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le 28 mai 2018

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