pour l'histoire classique du nouveau venu idéaliste qui perd peu à peu ses illusions et s'acoquine avec le système, on avait l'expression "vendre son âme au diable"
et pour l'industrie exploitante, on avait en bon français "babylone".
ce type d'histoire était hyper connu et balisée : histoire d'une lente descente dans la noirceur du cœur humain de compromission en compromission (tendance "le parrain" ou "apocalypse now") ou à l'inverse histoire d'une conversion et d'une rédemption ("mission" ou "la mégère apprivoisée") avec des rebondissements attendus et une chute prévisible bien morale.
sauf que dans la vraie vie cela ne se passe pas comme ça.
et quand on adapte un livre qui a pris pour modèle la véritable directrice de la rédaction tyrannique d'un véritable journal de mode (que je ne nommerai pas pour ne pas lui faire de pub.) on se trouve devant la possibilité que les "personnages" vous échappent et ne jouent pas le jeu...
les personnes réelles ne sont pas des stéréotypes.
"hélas" pourrait on dire, car certains auraient besoin d'une bonne raclée, d'autres d'une
sérieuse remise en question, qu'ils n'auront jamais car la vie n'est pas un film.
sans spoiler, disons qu'ici mrs Meryl Streep reste dans son rôle jusqu'au bout.
alors que quand un acteur joue un gros aigri, on s'attend à ce qu'il s'adoucisse et s'assagisse (sauf peut être de Funès qu'on veut voir exploser...) ici le comportement toxique semble valorisé, tant qu'il s'agit d'une femme.
pourquoi, me direz vous, ce traitement de faveur ?
volonté de présenter "l'enpouvoirement" comme quelque chose de plus souhaitable que ne le serait le même comportement chez un homme ?
impression qu'un management par une cruella d'enfer aux tifs monochromes ne peut être que comique et ne sera donc pas tragique ?
impossibilité de prendre au sérieux la trajectoire d'une personnalité que l'on a d'emblé présenté comme irréaliste ?
franchement, je ne sais pas vous, mais moi quand on me parle de diable, je m'attend à une (tentative de) dédiabolisation, puisque je comprends que par ce titre on a au moins cerné et nommé le problème...
ici notre Miranda se paie le luxe de faire une leçon à l'héroïne qui s'habille dans les solderies, en expliquant le trajet que parcourent les fringues pour arriver à cette friperie, en commençant par être "à la mode" et même avant au stade de "projet", en faisant vivre des milliers de personnes en cours de route.
c'est comme si on laissait un esclavagiste nous expliquer le commerce triangulaire.
on a tendu le micro à Babylone pour qu'elle donne sa version de l'économie.
au passage notons que l'oie blanche, nouvellement arrivée dans le milieu de la mode, avait eu l'audace de ne pas distinguer deux couleurs proches, comme quoi ce n'est pas une question de regard masculin ou féminin, mais bien d'entrainement et d'apprentissage.
bref, un film instructif sur un milieu particulier, mais qui ne dépaysera pas vraiment quelqu'un qui a déjà une patronne chiante, un mère despotique, ou une voisine énervante...
sinon à quoi bon, je veux dire, qu'est ce que cela apporte ?
quand on écoute l'histoire de Hansel et Gretel, c'est pour les voir mettre la sorcière au four à la fin, pas pour les voir bosser durement pour la sorcière et se faire humilier par elle...
notre morale naturelle attend instinctivement que les méchants soient punis ou qu'ils changent.
alors bon on peut être reconnaissant à Frankel de la fidélité au bouquin, présentant de dures vérités sur le monde du travail et sans doute aussi sur le monde du cinéma,
mais maintenant que cette œuvre, vielle d'environ 20 ans, a atterri elle-même dans un friperie de récup (netfix et compagnie) la cruella n'a même plus le mordant de la jeunesse,
ni attrait de la nouveauté, ni l'éclat de l'originalité.
de toute façon, après Elisabeth Borne, qui croirait encore qu'une organisation dirigé par une femme serait plus tendre ?
allez, un chose amusante. Anne Hathaway déclare "je ne suis pas ta chatte" à un amant, alors qu'elle jouera "Catwoman" peu après chez Nolan.
et alors que cette déclaration indépendance face à un homme, somme toute sympathique, on l'attendait plutôt face à sa patronne abusive.
mais non, le cinéma de majors reste fidèle à lui même, fort avec les faibles, faible avec les forts.
Babylone ménage le diable, pourvu qu'il soit bien habillé.
les producteurs n'oseraient remettre en question madame figaro\vogue, leur épouse, leur sœur.
très bien, ils laissent la critique sociale à la gauche
et s'étonnent ensuite que ça pète.
pendant qu'ils préféraient parler chiffons (que de dénoncer le diable prétendument identifié) Nolan préparaient son troisième Batman (oui voilà, celui où les riches de Gotham se font mettre à la rue.) et le monde préparait la crise de 2008...