Dès les premières minutes du « Discours d’un roi » on se sent en terrain connu : mise en scène classique, photographie léchée, presque artificielle, stars du moment au casting… Pas de toute, nous voilà face à un film tout ce qu’il y a de plus académique. Mais assez rapidement une petite musique se fait entendre, celle d’un drame intimiste original, d’autant plus touchant que les deux personnages principaux semblent incapables de dépasser le carcan qui les enserre, malgré des enjeux extraordinaires. L’un est prince de la famille royale d’Angleterre, peut-être voué à régner un jour sur l’Empire britannique, mais bègue depuis son plus jeune âge, impuissant à exprimer en public toute la noblesse de son rang : sa vie n’est qu’autorité bafouée, honte, désespoir. L’autre est semble-t-il un excentrique, un orthophoniste australien aux méthodes étranges, un acteur raté qui veut redonner au premier confiance et le libérer de son incapacité à parler à haute voix. La force de ce film doit beaucoup au face à face entre ces deux hommes, entre un aristocrate fier et orgueilleux mais brisé, détruit par son défaut d’élocution, et cet étranger bienveillant, méprisé de beaucoup, mais aux talents prodigieux. Tous deux doivent surmonter le regard humiliant des autres, essayer sans relâche de prouver leur valeur profonde, de défendre leur dignité face à l’adversité, qui peut se révéler dans son propre frère, un jury inhumain ou un auditeur anonyme. Tous deux, heureusement, peuvent compter sur l’appui d’une épouse combative et aimante. A ce titre, Helena Bonham Carter force le respect par son jeu, pour une fois sobre et sincère. Et peu à peu, en s’apprivoisant mutuellement, le Duc d'York et le « docteur » Lionel Logue vont réussir à grandir ensemble, au gré d’une relation « professionnelle » qui se muera progressivement en amitié profonde et indéfectible. D’une « histoire vraie », ces fameuses trames dont Hollywood est si friand, qui veulent tout et rien dire, et peuvent mener aux films les plus vils, Tom Hooper a su tirer toute la substantifique moelle, tout le tragique de cette histoire d’ambitions contrariées. Plus encore, il a su dépeindre une confrontation entre un homme au sommet de l’échelle sociale mais qui ne peut jouir de son statut, rongeant son frein alors que la guerre est aux portes de l’Angleterre et qu’il veut trouver les mots pour engager son peuple dans la résistance face à l’oppresseur, et cet homme simple mais qui sait tant de choses, dont les plus essentielles, d’abord moqué puis respecté. « Le Discours d’un roi » est ainsi un long métrage multiple : drame intérieur mais aussi social, film historique et biopic singulier. En bref, sans être novateur ni flamboyant, un film subtil et profond. Une belle réussite.


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ArthurDebussy
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le 1 oct. 2016

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Arthur Debussy

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