Le pardon.
[Spoilers ahead]. Le Fils est à ma connaissance le film qui met en scène la naissance du pardon de la façon la plus exemplaire. Si vous considérez, comme une amie à moi, que ce film est "une heure...
le 10 déc. 2010
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Dès le début, j'ai cru avoir compris. Olivier voyait apparaître dans le centre où il enseigne un apprenti, qui le perturbait violemment : c'était forcément son fils, qu'il n'avait pas reconnu à sa naissance ! Coup de théâtre au bout d'une demi-heure : non, ce gamin est celui qui a fait de la prison pour avoir tué son fils ! Suspens bien ménagé pour ce film qui est ni plus ni moins qu'un thriller psychologique, comme les Dardenne savent si bien les faire.
Le Fils est typiquement une oeuvre artistiquement engagée : les Dardenne font un véritable choix de mise en scène, et l'assument jusqu'au bout. Ce choix, c'est de ne filmer pratiquement que le dos, la nuque, le crâne, parfois les lunettes de profil, d'Olivier. La caméra suit Olivier, ne l'attend jamais. C'est donc le personnage principal qui devient le moteur de tout le film, ce qui induit pour le spectateur une identification puissante au personnage. Pas de musique, des décors épurés au possible. Et des personnages toujours en action, le plus souvent exerçant leur métier de menuisier. Ce sont les corps en mouvement qui racontent tout.
Pendant la première demi-heure, on ne voit donc qu'Olivier de dos, et ce dos nous fait ressentir toute sa fébrilité : quelque chose est venu perturber profondément ce vieux garçon aux habitudes ancrées. Cet homme d'ordinaire si sûr de lui, car détenteur du savoir, se liquéfie.
On apprendra à l'issue de cette demi-heure magistrale le drame qui a brisé cet homme. Il est littéralement "coupé en deux" : la ceinture joue ici un rôle essentiel. Il n'arrive plus à respirer de façon fluide, comme le montrent les séances de pompe qu'il s'impose, en s'arrêtant tous les cinq mouvements.
Mystérieusement, la confrontation avec celui qui lui a pris son fils va le réunifier, le remettre en marche. Les Dardenne ont tout de suite senti le piège d'un scénario aussi brûlant de pathos. Ils ont d'ailleurs longuement hésité à faire le film et n'ont cessé, durant le tournage, de craindre "d'en faire trop". Ils racontent ainsi qu'à un moment Olivier a passé sa main sur sa nuque : ils lui ont dit que c'était trop !
Et en effet, le film ne tombe pas dans le piège du pathos : Olivier ne va pas "pardonner" à Francis, comme j'ai pu le lire sur SC. Les Dardenne ne montrent pas cela ! Ils donnent à voir un dilemme, celui d'un homme qui sent qu'il doit se confronter au tueur de son fils, sans savoir "quoi faire de ça". Evidemment, le suspens naît du fait qu'on craint à tout moment qu'il cède à la vengeance - en particulier dans la scène où il l'emmène en voiture à la fin. Olivier hésite sans cesse, la caméra derrière lui suggère également cette indétermination, en oscillant légèrement. Elle suit Oliver dans des escaliers, des couloirs, faisant saillir les angles des murs, comme autant de risques de se blesser.
Alors, soyons honnête, le film n'est pas toujours passionnant : dans certaines scènes l'ennui guette. Je pense à celle où Olivier visite l'appartement de Francis, ou à certaines scènes de travail dans l'atelier. C'est le prix du réalisme souhaité par les frères Dardenne. Un prix pas trop élevé, somme toute au regard de l'authenticité que dégage le film...
Certaines scènes sont magnifiques : j'aime particulièrement celle où Olivier impressionne Francis en évaluant les distances (une manière de suggérer un nouveau rapport père-fils entre les deux, mais de façon très subtile, comme une simple possibilité), celle où Olivier refuse de payer la viennoiserie à Francis dans la boulangerie (une bonne façon de ne pas tomber dans le pathos du Olivier-saint, qui pardonne), celle où Olivier fait parler Francis alors qu'il se fait battre au baby foot, celle où ils portent tous deux des madriers (chacun porte sa croix), la bâche et la corde mises sur les madriers (qui sont des images évoquant le meurtre, lorsqu'on veut se débarrasser d'un corps), la poursuite dans la scierie (très bien rendue par une caméra qui bouge plus que jamais).
Peu ou pas de beaux plans chez les Dardenne, il faut en prendre son parti et chercher ailleurs leur cinéma. Accepter même les multiples scènes à l'intérieur d'une voiture - ce que je déteste généralement tant c'est peu photogénique -, qui, ici, se justifient car faisant partie d'un tout.
C'est la force du propos, servi par une mise en scène aussi audacieuse que juste, et par un Olivier Gourmet au diapason, qui touche. Les frères Dardenne ne tombent pas dans la facilité : tels des sculpteurs, ils épurent, enlèvent de la matière, jusqu'à l'os. Jusqu'à atteindre une certaine vérité humaine.
Créée
le 2 mai 2019
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