S’il y a une rumeur qui a la vie dure, c’est que le festival de Cannes est une usine à films aussi pédants que profondément ennuyeux. Du coup un premier film d'un réalisateur hongrois quasiment muet de deux heures sur Auschwitz où le réalisateur entend relancer une réflexion sur l’holocauste pour les nouvelles générations ; pour dire le moins ça n’annonçait pas que du bon.


Le fils de Saul est génial.


Je répète ?


LE FILS DE SAUL EST GENIAL.


Alors oui dans les bons films traitant frontalement le sujet on a eu l’holocauste doux-amer de La Vie est Belle, la grandiose fresque qu’est La Liste de Schindler, Shoah le documentaire viscéral, mais pour se rajouter en fin de liste le fils de Saul emprunte une voie que peu ont pris avant lui (et de mémoire, aucun ayant pour cadre la seconde guerre mondiale) : la subjectivité absolue en suivant un seul prisonnier que l’horreur a rendu sociopathe.


En résumé un juif, Saul, est membre des sonderkommando, c’est-à-dire les déportés recrutés par les nazis, nécessaire main-d’œuvre à cette immense machine de mort. Sauf que Saul n’en peut plus, son esprit s’est brisé par cette complicité forcée avant que le film ne commence, un mois ou une seconde avant on n’en sait rien, et on le suit comme un fantôme se baladant dans l’infernal chaos du camp avec pour mission l’absurde charge qu’il s’est lui-même donné : enterrer le cadavre d’un garçon qu’il a reconnu comme son fils.


On a parfois parlé du fils de Saul comme l’anti-Schindler, c’est vrai sur beaucoup de points. À la fresque historique et à l’héroïsme des personnages du Spielberg ici on est au contraire dans une négation de la vie, l’espoir n’existe pas ou s’il apparaît, comme à travers les autres prisonniers qui préparent leur évasion, c’est incident à l’histoire de Saul, une nuisance vouée à l’échec. « Tu es dans le monde des morts » lui crache-t-on parfois. C’est vrai, l’acteur, Géza Röhrig -un écrivain hongrois dont c’est la première apparition à l’écran- nous montre constamment le visage d’un homme éteint, un regard noir cerné associé à un quasi-mutisme dégageant un charisme écrasant.


Et je n’ai même pas entamé le meilleur, le film est filmé de telle sorte que tout ce qui est au-delà d’une soixantaine de centimètres de la caméra apparaît flou. En plus de cette particularité, László Nemes fait le choix de la caméra à l’épaule et du plan-séquence (chaque scène est ainsi composée de peu de plans de plusieurs minutes chacun), cela pour mieux pouvoir suivre Saul dans le dédale grouillant d’Auschwitz, terrifiant mélange entre une usine, un asile et un cauchemar éveillé. Prouesse technique ne laissant qu’une marge d’erreur de quelques centimètres au comédien, impliquant des dizaines de figurants et beaucoup de déplacements.


Ce dispositif, loin de se suffire à lui-même s’attache à transcender ce récit : le flou pour montrer que Saul ne voit plus le monde autour de lui, qu’il s’est renfermé sur lui-même (et est donc le seul élément net) mais aussi cela permet de ne pas montrer l’enfer autour de lui que l’on va seulement deviner par le travail sur le son. Cris, coup de feu, bruit de machine et de discussions agitées, nous poussent à imaginer, à visualiser tout le hors champs nourri par toutes l’imaginaire que l’on a de l’horreur des camps. Le fils de Saul est un des rares films à m’avoir provoqué une véritable sensation de malaise par le niveau d’immersion qu’il parvient à atteindre. On en arrive aux plans-séquences, long, parfois trop mais toujours juste dans leur but de nous montrer l’aspect harassant de sa quête.


J’ai évoqué l’absurde tout à l’heure, car oui Saul s’inscrit en descendant d’une vision hallucinatoire de la guerre qui écrase l’humanité de ceux qui ont eu le malheur de se trouver sur son passage. Ayant bien plus en commun avec les séquences les plus hallucinées d’Apocalypse Now, The Wall ou de Voyage au bout de l’Enfer que de la Liste de Schindler.


Le fils de Saul est un grand film sur la guerre qui ne ressemble à aucun autre, et cela sans citer une seule fois Hitler. Avec sobriété et un nombre de dialogue qui tient sur les doigts d’une main, il a incarné la vision d’Auschwitz qui restera. Pour un premier film, à part éventuellement quelques longueurs largement pardonnables dans la deuxième demi-heure (idéale pour se remettre du traumatisme sur pellicule qu’est la scène d’intro), László Nemes a posé non seulement un excellent film, mais une œuvre profondément marquante, majeure.


Critique issue de :http://cinematogrill.e-monsite.com/articles/sorties/le-fils-de-saul.html#El7qhcVArMiJky51.99

Cinématogrill
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Nos meilleurs films de l'année 2015

Créée

le 3 nov. 2015

Critique lue 692 fois

3 j'aime

Cinématogrill

Écrit par

Critique lue 692 fois

3

D'autres avis sur Le Fils de Saul

Le Fils de Saul
guyness
5

Exercice d'hostile

Le premier quart d'heure est terrassant de puissance. La façon qu'à László Nemes de suivre Saul à hauteur d'épaule est aussi redoutable qu'efficace. D'abord parce que cela oblige le spectateur à...

le 20 nov. 2015

68 j'aime

11

Le Fils de Saul
Shania_Wolf
5

Saul Madness Returns : Les Coulisses de la Mort

Je suis presque honteuse au moment de reconnaître qu’un film d’une telle force m’a laissée de marbre. Et cette culpabilité même rajoute à mon antipathie. Car si ce film sait par instants se montrer...

le 4 nov. 2015

60 j'aime

11

Le Fils de Saul
Strangelove
6

Better Call Saul

Saul est un exploité dans le camp d'Auschwitz comme il en existe des centaines d'autres. Il dirige les juifs depuis les trains jusque dans les douches avant de récupérer les cadavres et les amener...

le 13 nov. 2015

59 j'aime

18

Du même critique

Room
Cinématogrill
5

La fin de l’innocence

8,3/10 sur l’imdb, 86% sur métacritique, 94% sur rotten tomatoes, 5 nominations pour un oscar et 7,7/10 sur sens critique à l’heure où j’écris cet article : Room à première vue apparaît comme un...

le 11 mars 2016

56 j'aime

The Florida Project
Cinématogrill
5

Question ouverte au réalisateur : où est le scénario ?

Sean Baker est à la limite de l’artiste contemporain et du cinéaste. Ultra engagé, il s’est fait connaitre après le micro exploit de réaliser en 2015 Tangerine, entièrement tourné avec trois...

le 19 déc. 2017

38 j'aime

5

Thunder Road
Cinématogrill
5

Bonjour tristesse...

J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais...

le 13 sept. 2018

28 j'aime

5