Louis DE FUNES dans Médusa Fanzine, j’en vois déjà plusieurs qui grimacent en se pinçant le nez. Mais, évoquer ce Monsieur (avec un grand M) pour un gamin né à l’aube des années 70 comme mézigue revêt forcément un caractère spécial, presque intime. Nous touchons là à l’enfance, au territoire sacré de nos mémoires, à l’Eden révolu de nos existences, à mille lieux des tourments de l’âge adulte. Il le fallait bien pourtant. Comme dans une chanson de CABREL, c’était écrit. Comment ignorer à ce point tout un pan de ma culture cinématographique ? Evidemment, il me fallait explorer d’autres arpents auparavant, mais, malgré tout, personne ne peut le nier, les fondations ça compte, que l’on construise une baraque ou réalise sa vie. C’est dans mon ADN de petit Français blanc et j’en suis fier. Aujourd’hui, je revendique davantage ma franchouillardise qu’au sortir de l’adolescence punk. En réalité, depuis mes premiers pas dans le fanzinat en plein mitan des années 80, je savais inconsciemment que je devrais y revenir un jour. A l’instar des saumons qui remontent le lit des rivières, nous retournons tous aux origines. Petite tête blonde, j’en ai vu des comédies populaires à la télé ou sur grand écran, comme lorsque mes parents m’emmenaient au Paris (nom du cinoche de mon enfance) pour rire aux éclats devant des bidasseries (coucou le Médusa Fanzine n°30 !). Ils trouvaient leur compte dans ses sorties familiales, mon père esquivant soigneusement de m’accompagner aux Disney (comme je le comprends) laissant cette tâche ingrate à ma mère. Pardonnez-moi cette introduction dégressive et personnelle mais elle me paraissait nécessaire pour planter le décor et remettre l’église au milieu du village.
Si l’on en croit les informations glanées sur des sites à la gloire de Fufu, l’idole comique des français starifiée par les indémodables La grande vadrouille et autre Corniaud, c’est après avoir vu le ronflant Rencontres du troisième type de Steven SPIELBERG que Louis de FUNES eut l’idée de la réunion à l’écran des fameux gendarmes de Saint Tropez avec des extraterrestres. En 1978, la série des Gendarmes n’a pas connu de sortie depuis Le gendarme en balade, 8 ans auparavant. L’épisode prévu en 1975 (et écrit par Richard BALDUCCI, cf. Médusa Fanzine n°31) a été abandonné suite aux premières alertes cardiaques du comédien. 8 ans sans actualités, c’est une éternité mais les multiples diffusions télé (déjà !) permettent à la saga de rester dans le cœur des spectateurs, friands de cette France des 30 glorieuses plus idylliques que le début de ces années post-crise pétrolière. En 1978, ce sont les prolégomènes de la vidéo et seuls quelques très rares initiés sont déjà équipés, le cinéma se consomme d’une toute autre manière qu’aujourd’hui. Pour voir les films, pas le choix, c’est en salles ou à la téloche. La côte de popularité (au sens réellement populaire) de DE FUNES reste toutefois au firmament et je me souviens comme si c’était hier de nos imitations du bonhomme et de nos discussions à la récré pour nous raconter le film vu la veille à la télé.
Je ne vous apprendrai rien en affirmant que Jean GIRAULT, avec tout le respect que j’ai pour sa carrière, n’est pas SPIELBERG (il faut quand même comparer ce qui est comparable) et les extraterrestres du film s’avèrent davantage un argument comique qu’un réel ressort scénaristique, nonobstant le fait que le budget réservé aux effets spéciaux ne boxe pas dans la même catégorie que ceux de La guerre des étoiles (autre évocation proustienne de mon enfance). Si la soucoupe volante, conçue par la société Matra, a un certain charme rétrofuturiste, les incrustations détruisent les rétines. C’est Maurice RISCH (suppléant Jean LEFEBVRE écarté du générique), le premier, ébaubi, à découvrir dans une plaine le vaisseau des envahisseurs et, peu après, rencontrer un individu du 3ème type sous les traits d’un juvénile et blondinet Lambert WILSON. A l’instar des profanateurs de sépultures de Don SIEGEL, les visiteurs d’un autre-monde prennent l’apparence des humains. Seules différences notables, ils se nourrissent d’huile de moteur, résonnent comme des bidons (ça fait boiiiinnng quand on leur cogne le poitrail) et sont hydrophobes (cela nous vaut une séquence mémorable où les gendarmes arrosent les terrasses à la lance à incendie). Comme leurs prédécesseurs cinématographiques, ils affirment venir en paix mais les autochtones n’y croient pas. Les scénaristes jouent beaucoup des « doubles sosies » extraterrestres et des gags faciles qui en découlent. Les protagonistes, comme les spectateurs, ne savent plus à qui se fier (Cruchot qui fait boire de l’huile à Gerber, Cruchot qui saute sur une touriste qui déguste du cognac caché dans une flasque d’huile solaire, la scène rigolote des crânes des gendarmes qui tintinnabulent). Cela fonctionne toujours, surtout pour un public peu regardant venu se marrer en famille. Malgré tout, le long-métrage patine sévèrement et certaines séquences répétitives sentent le remplissage. Il s’agit également du cinquième épisode de la saga et forcément réchauffage il y a (l’énième retour de France RUMILLY en nonne dans sa dodoche). Il y a aussi des personnages qui sont expédiés comme « ma biche », Josépha, l’épouse de Cruchot, incarnée par Maria MAUBAN qui remplace Claude GENSAC, indisponible pour le tournage (elle reviendra pour les gendarmettes), et qui est envoyée en vacances à Perros-Guirec et débarrasse donc le port varois.
Intact, par contre, demeure le plaisir de revoir ces acteurs qui ont marqué le cinéma français populaire : Jacques FRANCOIS toujours parfait, Michel GALABRU, Marco PERRIN en maire de Saint-Tropez, le bafouilleur Pierre REPP (qui s’en souvient en 2024 ?), les sympathiques GROSSO et MODO… Il faut souligner également la chouette musique (surtout en présence de la soucoupe) de Raymond LEFEBVRE qui habille parfaitement leurs atterrissages.
Aujourd’hui, les défauts (nombreux) apparaissent presque comme des qualités à une époque où tout est standardisé… Imagine-t-on des vers de BAUDELAIRE récités à la vue de jolies filles dans une comédie contemporaine ? J’en doute. La critique (officielle) étrilla le film, le public le plébiscita (n°1 au Box-Office en France, plus grand succès français en Allemagne détrôné des décennies après par Intouchables) et moi, gamin qui sirotait du diabolo menthe, je m’étais marré comme rarement. Putain, laissez-moi rêver que j’ai 10 ans !
(chronique publiée dans le MF32, (c)2024)