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Alors que nos journaux sont remplis d'histoires plus ou moins avérées de manipulations politiques via les réseaux sociaux, peu nombreuses sont encore les fictions qui traitent de cette menace grandissante contre la démocratie, et ne serait-ce que parce qu'il s'intéresse à ce nouveau "marketing politique" et aux groupuscules extrémistes qui s'en nourrissent, "le Goût de la Haine" ("The Hater" en version internationale) vaut largement le détour. Et ce d'autant que, à la différence de maintes œuvres mises en ligne sur Netflix, il s'agit là d'un "vrai" film - polonais - dont la carrière en salles fut interrompue nette par le confinement. Et aussi parce qu'il ne sacrifie pas gratuitement au sensationnalisme ni aux facilités du cinéma de genre.


Le scénario, très ambitieux, du "Goût de la Haine" est nourri de la réalité politique polonaise - pas si loin de la nôtre, en juste un peu pire : classes bourgeoises pro-européennes et démocrates vivant dans une bulle de luxe et de culture les coupant de la réalité du pays, et dont le comportement arrogant attise la flamme du populisme, voire de l'extrémisme au sein d'une population déboussolée, craignant pour son avenir face aux "hordes" de migrants, islamistes et terroristes, le terreau parfait pour la violence et la désagrégation sociale... Et pour rendre cette situation encore plus délétère, les réseaux sociaux, véhicules plus ou moins spontanés de rumeurs complotistes et de messages d'intolérance et de haine.


"The Hater" suit l'ascension de Tomasz, un Eugène de Rastignac polonais, magistralement interprété par le jeune Maciej Musialowski, parfait sociopathe que l'on n'arrive jamais pourtant à détester : provincial et étudiant en droit (comme le héros de Balzac) chassé de l'université pour avoir triché, il entrevoit la possibilité de mettre à profit sa compréhension instinctive de la noirceur de l'âme humaine et des mécanismes d'exclusion dont il est lui-même victime pour conquérir gloire et fortune (relatives...), et du même coup séduire sa "belle" et / ou détruire sa famille.


Le trajet de ce monstre tapi dans l'ombre d'une société en roue libre, menteur patenté et habile manipulateur virtuel autant que réel (car Tomasz n'hésite jamais à payer de son corps, séduisant un candidat politique homosexuel, couchant avec sa patronne de l'agence de Marketing, et... mais restons en là pour ne pas trop en dévoiler...), est particulièrement passionnant, jusqu'à un cataclysme final qu'il aura créé de toutes pièces. Impeccablement mis en scène, avec une patience, une distance et une froideur parfaites par Jan Komasa, qui nous avait déjà bluffé cette année avec son très beau "la Communion", "le Goût de la Haine" souffre malheureusement de quelques incohérences de son scénario, en particulier en ce qui concerne l'utilisation des réseaux sociaux pour créer des événements, et dans les rapports entre Tomasz et sa famille "adoptive", incohérences qui frustrent le spectateur et empêchent le film d'être une totale réussite.


C'est certes dommage, mais ce n'est pas suffisant pour se priver de voir une oeuvre aussi singulière que pertinente, qui confirme l'importance de Komasa, jeune réalisateur regardant son pays - et notre monde - droit dans les yeux. Un cinéaste à suivre, indiscutablement.


[Critique écrite en 2020]

EricDebarnot
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Créée

le 19 août 2020

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Eric BBYoda

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