"L'homme africain n'est pas encore assez rentré dans l'histoire"

Pour commencer, je vais revenir sur le contexte particulier entourant la séance à laquelle j'ai assisté : alors que je sortais du travail peu de temps après 20 heures, après avoir passé 11 heures à recevoir des patients dans un bureau non climatisé par 40° de température extérieure, je me faisais une joie de me retrouver dans une salle de cinéma à l'air conditionné pour trouver un peu de fraîcheur bien méritée. Manque de chance, j'apprends en arrivant sur place que le système de refroidissement est en panne et que la séance se fera dans une chaleur tropicale. C'était le dernier jour pour profiter de ma carte 5 places et je n'avais pas envie de perdre 7 euros 50 : j'ai foncé dans le brasier.

Jean-Pascal Zidi n'est pas un néophyte sur la scène audiovisuelle française. Il a rencontré un succès critique avec Tout simplement noir lui permettant d'entrer dans les petits papiers de Netflix et de voir sa série En place arriver en 2023 sur la plateforme de streaming. Dans ses œuvres, il aborde avec un humour efficace la condition des français d'origines africaines au XXIe siècle. Après la deuxième saison de sa série sortie en 2024, un nouveau film estampillé par Netflix semble être la suite logique à son parcours.

Le titre du film est déjà un manifeste en soi puisqu'il détourne avec malice la notion de "grand remplacement" en l'intitulant Le Grand Déplacement : tout un programme ! Bien que ce titre tourne en dérision la fameuse théorie de Renaud Camus, le sujet en est en réalité assez éloigné. Il dépeint une agence spatiale panafricaine qui aurait pour projet d'envoyer des astronautes sur une planète B pour sauver les africains de leur perte, sur une Terre condamnée par les désastres écologiques. Il est légitime de se demander alors comment l'acteur/réalisateur, couronné d'un césar du meilleur espoir masculin, poursuit son parcours artistique au sein du giron du géant états-unien du streaming. Ma critique s'articulera sur trois axes principaux de critiques : la mise en scène, l'écriture et l'humour.

On peut analyser Le Grand Déplacement en tant que parodie du genre de film d'astronaute dont les plus grands représentants sont l'Etoffe des Héros et Interstellar. Cependant, pour effectuer la comparaison avec OSS 117 qui parodiait les films d'espionnage de la franchise James Bond, une parodie ne fonctionne que lorsque le réalisateur maîtrise les codes du genre auquel il se confronte. Et pour être honnête, le film de Jean-Pascal Zidi est extrêmement pauvre du point de vue de la mise en scène : très peu de tension, des dialogues filmés comme une sitcom, des choix esthétiques qui ne magnifient pas du tout les décors choisis. On ressort de la séance très déçu de ce point de vue là.

Il faut dire que le scénario n'est pas très étoffé. Les ramifications potentielles de l'argument du film que j'ai exposé plus tôt sont ici absolument sous-exploitées. L'écriture se focalise sur l'enchaînement des vannes et pas du tout sur leur cohérence dans l'histoire du film. Des personnages qui incarnent des positions idéologiques claires se retrouvent à faire l'inverse de leur propos sans la moindre logique narrative pour pouvoir faire une blague dans la scène post-générique. L'écriture des personnages n'est pas cohérente : les différentes origines des personnages et les conflits qu'elles pourraient susciter sont balayées ; cette sensation est amplifiée par le jeu parfois tâtonnant de certains acteurs. Enfin, les enjeux du voyage spatial sont survolés et le film atteint difficilement la durée d'1h20.

Pour enfoncer le clou, j'ajouterai que l'humour de cette comédie m'a semblé en demi-teinte. Je m'étais figuré qu'un film abordant le panafricanisme voudrait adopter un "humour africain" si tant est qu'il existe et que les blagues seraient différentes de ce qu'un beauf peut sortir au barbecue. Je suis même étonné qu'il n'ait pas ironisé sur le fait que la fusée n'aurait pas été construite à temps car les matériaux auraient été détourné plusieurs fois par les autorités locales. Bien sûr je n'ai rien contre quelques blagues un peu lourdes, mais à quel moment Jean-Pascal Zadi et sa co-scénariste ont-ils renoncé à gratter plus profond que la surface du potentiel humoristique ? Les cultures africaines sont encore marquées par un certain machisme, mais pour connaître des femmes issues de ces cultures, ce sont également des personnes très déterminées qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Une scène dépasse en malaise toutes les autres : je pense évidemment au dialogue du pilote et du psychiatre enchaînant les remarques misogynes, et qui n'est tout simplement...pas drôle. Sur ce sujet, je trouve que l'humour du film ne s'aventure pas en dehors des sentiers battus et c'est un sérieux reproche.

Finalement, Le Grand Déplacement est un échec sur tout ce qu'il entreprend. Il semblerait que son réalisateur se soit senti suffisamment en confiance pour tourner un film au scénario indigent et qu'un producteur ait accepté de le financer sans modification. Le produit fini est insuffisant à plus d'un titre. Jean-Pascal Zidi aura soulevé les espoirs de voir émerger des personnalités différentes dans le paysage cinématographique français mais un film comme celui-ci laisse craindre de retomber dans les mêmes clichés et fainéantise du cinéma comique français de cette dernière décennie.