Alors que je n'étais guère convaincu par "Django", je dois dire que j'ai bien aimé ce "Grand silence". Il faut dire que la différence, c'est qu'il y a de vrais comédiens, ici.
Dans les montagnes de l'Utah, en 1898, l'hiver intense force les villageois à détrousser les voyageurs pour survivre. L'Etat les déclare hors-la-loi, ce qui attire une flopée de chasseurs de prime avec un petit carnet. Les villageois se réfugient dans la montagne, tandis que les chasseurs de prime s'installent en ville. Un shériff est envoyé pour ramener l'ordre, mais dans la même diligence arrive un homme appelé Silence, muet, qui tue les chasseurs de prime pour venger ses parents.
L'environnement neigeux donne au film une tonalité particulière, et si Corbucci abuse un peu des plans de chevaux dans la neige avec un mec en grand manteau qui tient un fusil, on a du mal à lui en vouloir tant le résultat est plastique. Il y a aussi la musique, avec ce thème principal mélancolique, mais aussi des compositions étranges, vaguement orientales, ou encore des sifflements stridents de flûte, comme chez Kurosawa.
Et le parallèle avec les films de samouraï est assez évident. Je trouve d'ailleurs que ce n'est pas un hasard si ce film précède de quelques années les "Baby cart", qui en sont une descendance nette.
Bon, il y a toujours ces problèmes qui classent les films de Corbucci dans la série B, le cinéma d'exploitation, comme on dit : des décors vraiment moches, fraîchement peints ; des zooms intempestifs et roublards ; une surenchère dans les trognes mal rasées et dégueulasses (la palme au chasseur de prime qui mange son poulet tellement salement qu'on pourrait croire qu'il dégueule) ou dans les costumes miteux (ha, ces mitaines en serpillère...). Ha, et j'ai reconnu les paysages des Dolomites : on a du mal à croire que cela se passe aux Etats-Unis. Il faut dire que l'image de Corbucci n'a rien de commun avec les westerns de John Ford...
N'empêche que le héros ténébreux est ici incarné par Jean-Louis Trintignant, qu'au départ je n'aurais pas vu en héros macho, mais qui dégage une aura de vengeance encore renforcée par son mutisme. Trintignant sait cependant ajouter de petites notations psychologiques - comme le côté content qu'il prend après avoir dégommé trois pommes de terre d'un coup. Ce qui est intéressant, c'est que Silence n'est pas un sauveur : lui aussi, il tue pour ses raisons personnelles, et joue avec la loi pour se trouver en situation de self-defense.
En face, Kinsky est parfait en psychopathe, on reprochera juste au réalisateur de lui avoir assuré un brushing invraisemblable alors que les autres ont les cheveux si gras.
Bon, et si les personnages sont toujours très archétypaux, le thème du film est simple et bien traité : il dénonce le caractère hypocrite d'une société qui délègue la loi à des chasseurs de prime. Pourquoi un meurtre perpétré par quelqu'un muni de la puissance légale n'est-il pas considéré comme un meurtre ?
Reste le goût pour la mutilation des mains, qui pourrait m'intéresser si je ne soupçonnais pas une influence chrétienne derrière. Et le final, version massacre du héros puis des innocents, que l'on peut trouver très sombre si on oublie de lire le carton final, qui explique que tout cela est basé sur des faits réels, qui ont amené la fin du recours aux chasseurs de prime.
"Le grand silence" est de meilleur goût que "Django" et offre un message mieux maîtrisé. Ses seuls limites viennent de ses conditions de production.