Le vers est dans le fruit.

Autant vous le dire tout de suite, il faut être "in the mood" pour le film.
2h20. Yeah baby!
Le film est un témoignage poignant d'une époque.
Comme il en existe peu.
Une époque charnière où le spectre de la guerre d'Algérie s'efface peu à peu.
Où tout est à reconstruire. Où tout semble possible. Où l'espoir existe.
Cet espoir, il est inquiet, timide mais éclatant.

Le talent de l'interviewer nous dévoile peu à peu le visage de ses parisiens, différents et complémentaires.
Des tranches de vie.
Il y a des bavards, des penseurs, des timides, des cons, des gouailleurs.
Le tout dans un Paris vintage à souhait, bourré de DS et de bérets, se dessinant dans un noir et blanc arty et sublime.

Malheureusement, le film est trop long. VRAIMENT trop long.
A vouloir embrasser la totalité des gens, la démonstration en devient trop appuyée.
Certes, quelques passages sont cocasses, émouvants ou farfelus.
Mais le film perd de son rythme et dérape d'une oeuvre ambitieuse à un doc de 2ème partie sur Arte.

Mais le pire est ailleurs.
Plus les témoignages s'accumulent et plus le malaise s'installe.
Ces gens qui rêvent d'HLM, qui sont ambitieux, qui se désintéressent de la politique,
Ces femmes niaises, effacées derrière leur mari, qui votent pour le candidat le plus beau,
Ces artisans qui ne rêvent que d'argent, ces étudiants qui fantasme le pouvoir, ces ménagères qui ne désirent que consommer,
C'est le prémisse de Nous. Aujourd'hui.
C'est le début d'une société de consommation mondialisé.
Une communauté où seul compte l'AVOIR.
Alors que nous devons ETRE.

Une fois la prise de conscience faite, on observe le reste comme un long naufrage, ou comment l'espoir d'une vie meilleure se détermine au Salon de l'Art Ménager.

Bien sur, ne soyons pas trop sévère.
Les images nous rappellent qu'à cette époque, certains vivaient à 11 dans une seule pièce et voyaient la gazinière comme l'unique graal à posséder.
Mais le parallèle avec les conséquences directes et actuelles est inévitable.
Le vers est dans le fruit.
Les gens ne pensent qu'à eux.
Les gens veulent posséder pour exister.
Leur idée du bonheur est déjà gangrénée.

Et nous voila, aujourd'hui, à observer tout cela dans une salle obscure.
Persuader que AVANT, c'était mieux.
C'est vrai.
AVANT, on pouvait imaginer autre chose.
Aujourd'hui, le piège s'est refermé.

Preuve en est qu'aucun Parisien du film ne se rappelle de l'évènement marquant du joli mois de mai 1962.
Le spectateur le sait: c'est le début de tout le reste.