Je me souviens de cette pochette de DVD qui trônait dans mon étagère étant enfant.
Au milieu des environ 300 DVD que nous avions mes parents et moi, celui-là était l'un de ceux qui m'intriguait le plus, presque comme s'il m'appelait dans son labyrinthe.
Cependant, rapidement noyé au milieu des autres, je ne me suis rappelé son existence qu'à l'âge de 18 ans, après la sortie de La forme de l'eau. Émerveillé par ce dernier et curieux de replonger dans un autre univers de Del Toro, je mis enfin le DVD en route et m'aventurais dans ce labyrinthe qui me tentait depuis toujours.


Il était une fois une enfant qui, perdue dans un monde d'adulte, vit soudain apparaître un monde de conte de fées.


Tout comme Edward aux mains d'argent (un de mes films préférés), nous avons là un faux conte de fées (à croire que les faux contes de fées sont meilleurs que les vrais) que l'on pourrait presque appeler un conte de monstres.


En effet, comme dans la plupart des films de Del Toro, l'une des principales choses qui marque dans ce film est la thématique du monstre : on a le droit à des monstres incroyables et uniques directement sortis de la tête du réalisateur - allant du faune aux fées en passant par une sorte de démon - qui malgré le fait qu'ils soient faits avec du maquillage et non pas avec de la CGI, n'ont pas vieilli d'un poil. Ces monstres, magnifiques, surprenants ou terrifiants (voire les trois en même temps) nous entraînent dans le monde d'Ofelia, la petite fille dont on suit l'histoire.


Ofelia est une enfant au milieu de l'Espagne fasciste - Del Toro étant mexicain, il est là dans un pays qui lui est familier et dont il connaît l'histoire. Un jour, au milieu du désespoir, elle découvre un labyrinthe dans lequel se trouve un faune : est-ce que ce labyrinthe est un rêve, une illusion ? On n'en sait rien, mais ce qui est beau c'est qu'elle décidera d'y croire jusqu'au bout. Ofelia paraît à la fois comme une enfant (avec ses jeux, le labyrinthe...) mais aussi comme une adulte, à se préoccuper de sa mère malade ou de son petit frère : elle est forcée de grandir, et c'est ce déchirement entre sa volonté de vivre son enfance et ce monde abominable qui la force à grandir qui va, littéralement, l'achever. Le monde réel est si cruel qu'il tue, alors même si le monde fantastique est imaginaire, il reste mieux que le réel. Ce qui pousse Ofelia à croire au labyrinthe, ce n'est ni l'ennui ni l'enfance, c'est son instinct de survie.
Le contraste entre ce monde fantastique à l'apparence effrayante mais qui est en fait féerique et le monde réel à l'apparence normale mais qui est en fait un monde de fous est frappant, il nous questionne et nous fait poser une question cruciale, la question de tout le film : qui sont les vrais monstres ?


Même si certains personnages sont nobles et cherchent à faire cesser le fascisme, il n'empêche qu'aucun ne sauvera Ofelia de ce monde : tous y sont perdus et s'entretuent, que ce soit l'horrible Vidal que la sauvage Mercedes ou la fragile Carmen, aucun n'est à sauver. Les faunes et fées ne nous apparaissent alors pas si monstrueux, et ce sont plutôt les autres, les adultes - en particulier ceux qui sont vils, avides et cruels - qui le sont. Pas besoin d'avoir de monstres, il y en a déjà dans le monde réel.
D'un certain point de vue, seule Ofelia sera sauvée à la fin et trouvera l'apaisement, comme si le seul moyen de s'échapper du malheur que génère le monde était la mort, l'imaginaire et le fantastique.


Ce film parle de l'un des sujets les plus durs, les plus cruels de tous : l'impossibilité de s'échapper d'un monde qui nous dépasse. Un monde que l'on n'est pas assez grand pour comprendre, et après tout pourquoi grandir si c'est pour devenir comme Vidal ? Et le plus cruel, c'est que ce film ne nous donne pas de "solutions", il ne nous dit pas qu'il y a une autre manière de s'échapper : il nous oblige à faire face à la mort d'une enfant qui semble être inévitable, et c'est pour ça que c'est un pur chef-d'œuvre.
Ce film me tue et me détruit de l'intérieur à chaque fois que j'y pense (ne vous inquiétez pas pour moi, c'est exactement ce que je recherche dans un film), mais surtout il me questionne. Il me questionne sur la cruauté, notre rapport à l'enfance, la guerre, l'imaginaire... Il me questionne tellement qu'il n'est pas impossible que mon avis ait subitement changé demain : au final je ne suis sûr de rien concernant ce film et ce qu'il m'a fait, ou même ce qu'il dit.


La seule chose que je peux dire à coup sûr, c'est que je suis toujours perdu dans le labyrinthe.


https://www.youtube.com/watch?v=BV9Z7LWspSk

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le 25 déc. 2020

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PuduKazooiste

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