Le pitch est épais comme un papier à cigarette : un chef de gang qui a flingué sans le vouloir un flic se retrouve fugitif, ennemi public n° 1. Une prostituée va tenter de le dénoncer pour empocher la prime et la remettre à sa femme. Diao Yinan reprend pour nous le conter les codes du film noir : la femme fatale, le flic obstiné, le poids sur les épaules du héros, l'atmosphère nocturne, le jeu sur les ombres. Et le recours aux flashbacks (qu'on se souvienne de Assurance sur la mort par exemple), pas mal décriés sur SC, que je n'ai pas trouvés, pour ma part, abusifs.


Diao Yinan a visiblement choisi de se concentrer sur la forme, avec succès : nombre de scènes sont mémorables. Je citerais :
- le combat entre les deux gangs au montage serré,
- Liu se reflétant dans la vitre de l'armoire où se change Shuju,
- les deux ombres de Liu et Zhou Zenong déformées sur un mur,
- la scène dans le zoo avec ces yeux d'animaux qui transmettent l'anxiété de la situation puis la stupeur,
- des baskets illuminées dans la nuit,
- Liu recrachant du sperme dans le lac et, en réponse, son chapeau blanc qui coule,
- une tête qui se met à chanter sous un chapiteau,
- un parapluie ensanglanté,
- une ombre sur un mur lors de la traque de la police qui semble venir vers nous en courant,
- la bouche pleine de nouilles de Zhou Zenong juste avant son ultime fuite.


Certains diront : poseur. C'est l'éternelle limite entre l'artistique et le prétentieux et, il faut le dire, la subjectivité entre ici en ligne de compte. Pour ma part, je ne redoute pas l'ostentation d'une mise en scène, si elle m'offre des trésors comme ici. Diao Yinan parvient par ailleurs à installer une atmosphère poisseuse, avec ces dédales de petites rues, ces échoppes, ces néons dans la nuit, cette pluie incessante. Dans ce décor, Zhou Zenong se sait condamné, d'où ses déplacements d'un grand calme tout au long du film. Il ne cherche qu'une chose : que son arrestation puisse servir à sa famille. Les flics sont mis au même niveau que les délinquants, grâce à cette scène où on les voit sur des scooters, exactement comme les gangs au début. La forme choisie par Diao Yinan sert le propos avec subtilité et brio.


Pari réussi sur la forme, donc. Sur le fond, c'est nettement plus indigent. Tout ça pour dire quoi ? Que la société chinoise est traversée par la violence, la délinquance et la prostitution ? Voilà qui relève du scoop !... Les personnages n'ont guère d'épaisseur, difficile de s'attacher à l'un d'entre eux.


Me manque un peu, donc, de la profondeur dans le propos, ce Lac aux oies sauvages me laissant l'impression d'un simple divertissement, haut-de-gamme certes, mais aux ambitions purement formelles.


7,5

Jduvi
7
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le 6 janv. 2020

Critique lue 238 fois

Jduvi

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