Dégoutée par son mari, Miyako entretient une relation adultère avec le jeune Kitano. Un soir, celui-ci demande à la photographier nue. Elle accepte, mais les négatifs lui sont dérobés. Soumise au chantage d'un inconnu, Miyako n'a alors d'autre choix pour les récupérer que d'obtempérer, et prend le train pour Katayamazu Onsen...
Il est impossible à la vision de ce lac des femmes de ne pas penser au cinéma d'Antonioni. Pas seulement car un cliché photographique est au centre de l'intrigue (Blow-up sort la même année) mais car il y a chez Yoshida une même façon de traiter l'errance de corps et leur disparition dans des paysages déserts ainsi que l'image de la femme et ses désirs.
Comme dans tous les films du cinéaste post Evasion du Japon, le personnage principal est incarné par sa femme à la vie, la sublime Mariko Okada. Actrice d'une beauté irradiante, possédant le côté mutin de l'enfant mêlé à la gravité, l'élégance, la maturité et la sensualité de la femme accomplie. Le regard que pose Yoshida sur elle, sa façon de la filmer est fascinante. Sa caméra la dévore, hésite, la frôle, la désire, donnant a cette femme un caractère allant de la frigidité à l'érotisme exacerbé.
Et on sent une évolution dans la manière de la filmer au fil des films, à partir de la source thermale d'Akitsu où il en tombe amoureux. Yoshida met sa femme à nue, dans tous les sens du terme, mais le summum de l'érotisme est atteint lorsqu'il filme la nuque de son actrice. Plans revenants de films en films, et dans lequel se crée un désir vertigineux assez indescriptible. Pour faire simple, la nuque de Mariko pour Yoshida c'est un peu la chevelure blonde, le chignon de Vertigo, pour Hitchcock. Cette nuque est d'abord terrain privé, seul sa caméra peut la toucher, la frôler. La main d'un personnage s'y posera uniquement et avec une sensualité et une grâce infinie dans son film suivant, passion ardente. Peut autre aussi car c'est dans ce film et cette scène-là que l'on perçoit son plaisir pour la première fois.
Cette Mariko Okada incarne la femme moderne et ses désirs. Coincée entre le besoin d'aventure, de sexe et d'amour avec un amant aimant, le besoin de curiosité et de se mettre en danger face à l'inconnu, le maitre chanteur, et face à un mari dépassé aux valeurs archaïques : « Tu as changé, une parfaite épouse est comme l'air, personne ne l'a remarque, pourtant on ne peut pas vivre sans elle. Toi tu n'es plus si aérienne. ». Pour le cinéaste être femme moderne passe par le regard, être vu, être remarquée, être désirée. Ressentir le fait d'exister. C'est tout le sujet de ce film qui mêle notion d'images réelles, fictives ou mortes en juxtaposant la vie, le cinéma et la photographie. L'inconnu qui dérobe les négatifs, tombe amoureux d'une image : tout d'abord l'image de cette femme heureuse et satisfaite dans les bras de son amant, qu'il perçoit en l'épiant à travers les fenêtres. Puis l'image du corps de cette même femme, glacée, définitive et aux courbes impeccables gravée sur les photographie. Il désire une image imaginaire, une certaine vision de l'être parfait. Mais lorsqu'il parle avec cette femme, plus tard dans le film, elle n'a pas pour lui le même regard qu'elle porte sur son amant, il n'y a ni amour, ni désir, du coup le sien, frustré, disparaît également. Désir, celui du cinéaste pour son actrice.
Désir maitre mot d'un film qui peu à peu se laisse aller à l'errance, dans des paysages arides, au bord d'une plage, dans lesquels évoluent des personnages et leurs doutes. Ils rencontrent une équipe de tournage en train de réaliser ce qui semble être un film érotique de série B, avec nus, meurtres et viols. Images de tournage visionnées par la femme et l'inconnu et ayant le reflet de leur propre réalité. Violence des sentiments et violence liée à la confrontation à ses propres désirs : une image, une photo, un film, un être.
Le film met également un autre élément récurrent de l'œuvre de Yoshida, le train. Le train comme symbole fort marquant autant les allers-retours temporels : marche en avant vers l'avenir hésitant et tumultueux et retour vers un refuge passé poussiéreux mais confortable.
Le train comme ligne du temps, ligne de vie, qui sépare les personnages, les uni, les déchire.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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Teklow13

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