Ryusuke Hamaguchi est devenu ces 10 dernières années l’une des petites coqueluches du cinéma mondial. Depuis la sortie en 3 parties de Senses en 2018, le réalisateur japonais nous propose presque mécaniquement un film par an.
Bien que je n’aie jamais été grand fan de son cinéma, le cinéaste a connu un succès certain ces dernières années : sélectionné en compétition à Cannes pour Asako I&II en 2018, puis de nouveau en 2021 pour Drive my car (où il récolte le Prix du Scénario), Ryusuke Hamaguchi est notamment devenu l’un des réalisateurs de référence en remportant début 2022 l’Oscar du meilleur film étranger (pour pas moins de 4 nominations dont Meilleur film et Meilleur réalisateur), toujours pour Drive my car.
Le mal n’existe pas est donc attendu de pied ferme par le public averti et cinéphile.
Ce cru Hamaguchi 2024 marque pourtant une certaine rupture par rapport au cinéma classique du réalisateur. Jusque-là cinéaste du dialogue, à la mise en scène millimétrée et ne laissant que peu de place à l’improvisation, Le Mal n’existe pas prend en quelque sorte le contre-pied en privilégiant de longs plans contemplatifs, voire méditatifs. Le long métrage est à vivre comme une flânerie, qui s’écarte des schémas narratifs classiques.
Ce sentiment de flânerie s’explique notamment par la genèse du projet, tout à fait surprenante : le réalisateur avait initialement été sollicité pour créer les effets visuels de la nouvelle création de la compositrice Eiko Ishibashi, avec qui il avait déjà collaboré pour la musique de ses précédents films. Initialement, cela ne devait donc être que de simples plans pour habiller un concert.
Pour ce projet, Ryusuke Hamaguchi se rend ainsi au village de Mizubiki, dans la campagne japonaise, où Eiko Ishibashi se retire pour composer ses musiques. Dans cette nature sauvage, l’idée d’un film à part entière commence à germer. Hitoshi Omika, qui accompagne Hamaguchi en qualité d’assistant réalisateur, devient progressivement personnage principal de l’intrigue.
Finalement, dans Le mal n’existe pas, Hitoshi Omika incarne Takumi, un homme à tout faire qui vit au milieu des bois en compagnie de sa fille Hana. Sa vie en harmonie avec la nature est troublée par le projet de construction d’un « glamping » (contraction de Camping Glamour) en pleine forêt. Un projet réalisé à la va-vite par une entreprise de com’ venue de la capitale, dans le simple but de bénéficier de subventions étatiques, sans se soucier de l’équilibre écologique de la région.
Le mal n’existe pas prend ainsi rapidement les allures de conte écologique.
Malheureusement, la promesse du film n’est pas tout à fait tenue : la fin de long métrage me pose problème. Que le film se veuille onirique et poétique, avec plaisir. Mais le scénario s’effrite progressivement, bascule dans l’incompréhensible et devient fumeux. Le conflit au centre de l’intrigue se retrouve vite oublié, sacrifié, sans résolution.
C’est fort dommage car Le mal n’existe pas est pourtant basé sur une nouvelle d’Haruki Murakami intitulée Des Hommes sans femmes. Un scénariste n’aurait pas été de trop pour épauler Hamaguchi dans son adaptation...
Prix du Jury à la dernière Mostra de Venise, Le mal n’existe pas laisse ainsi un goût d’inachevé. La beauté de la nature magistralement filmée par Hamaguchi n’efface pas le sentiment d’un scénario tronqué et incomplet, l’ébauche d’une histoire écologique qui aurait sans doute été passionnante si elle avait été développée.