Une femme belle à pleurer assise sur une barrière, scrutant l'horizon au loin et coiffée d'un chignon miraculeux, cigarette à la main ; des archives d'un autre temps présentant une poignée de ballons dirigeables mêlées à des chars d'assaut, des scènes de foules en liesse puis le superbe Stabat Mater de Pergolese à l'appui de l'émotion pure ; une tâche de buée fantomatique, du sucre en poudre surplombant la tête d'un chaton, du lait tapotant de ses gouttes métronomiques une table en bois aux allures de meuble séculaire...
Quatrième long métrage de feu Andrey Tarkovsky Zerkalo est un poème à la charge évocatrice intarissable et inoubliable. Fruit des souvenirs d'enfance du cinéaste retranscrits en sons et en images ledit poème filmique offre à la radieuse - et un rien vénéneuse - Margarita Terekhova un double-rôle emblématique de femme et de mère littéralement fascinant, accompagné çà et là des écrits du père de Andrey : le spectral mais prolifique Arseni Tarkovsky, offrant pour l'occasion sa voix-off à une Oeuvre de Cinéma parfaitement inépuisable et fortement aboutie.
Certes Zerkalo n'a pas encore l'homogénéité formelle d'un Stalker, d'un Nostalghia ou d'un Offret ( car moins enclin au procédé purement "temporel et scellé" du plan-séquence que les oeuvres sus-citées ) mais c'est justement sa forme éparse et délibérément composite qui lui insuffle une authentique singularité ; s'étalant sur près d'une quarantaine d'années le récit du long métrage tant vanté en ces lignes nous plonge dans une sorte de voyage introspectif et mélancolique de la part d'un narrateur dont la mère et l'épouse se ressemblent étrangement. Passé et présent s'entrecroisent à la manière du chignon arboré par Terekhova à l'orée du poème, sans que le spectateur puisse entièrement rationaliser ce qu'il admire et ressent devant l'écran...
Comme toute auto-biographie digne d'être nommée ainsi Zerkalo est une Oeuvre au coeur de laquelle Andrey Tarkovsky témoigne de lui-même, avec une ferveur ainsi qu'une gravité non-feintes. Ce souci permanent de premier degré, cette austérité se retrouve jusque dans les moindres détails d'un florilège de réminiscences ( un jeune soldat exécutant un vrai tour sur lui-même, un parent aficionado de corrida mettant à mal le climat familial ou encore une stupide coquille égarée dans un mystérieux manuscrit...) parvenant à nous bouleverser comme rarement au gré d'un épilogue sublimé par La Passion selon Jean de J.S. Bach. En un mot comme en cent Zerkalo constitue sans nul doute le plus beau et le plus émouvant des films de l'heptalogie resplendissante de Andrey Tarkovsky. Un chef d'oeuvre absolu.