Le désert australien, les plaines arides et le ciel bleu à perte de vue, seulement séparé par des vagues de chaleur étouffantes et des volutes de poussière ocre voltigeantes, avant de se rejoindre, au loin, à l’horizon. Le désert australien, vidé de ses entrailles à coup d’explosifs et de forages ou dans les profondeurs de mines interminables et défiguré par d’immenses monticules de gravats, qui créent une ligne blanche, entre les plaines arides et le ciel bleu, au loin, à l’horizon. Le désert australien, et ses habitants de toujours, les aborigènes, assis en cercle au milieu des mines interminables et des monticules de gravats et de gros bulldozers jaunes fluos et de constructions de tôles bariolées, dans des jeans et des T-shirt élimés, le regard perdu, au loin, à l’horizon.


Culture morte


Dans ce désert australien se livre un combat silencieux : progrès technique contre nature préservée, modernité contre culture traditionnelle. Dans ce désert australien, les aborigènes errent, dépossédés de leur terre, de leurs lieux sacrés, de leur culture, de leur mode de vie de toujours. D’eux-mêmes. Dans ce désert australien, une énième exploration géologique de la richesse du sol à grand renfort d’explosifs va être empêchée par la manifestation pacifique d’un peuple qui veut protéger cette petite portion de terre. « C'est la terre ou rêvent les fourmis vertes ».


Peuple mort


La compagnie minière doit trouver une solution, un dirigeant rapplique, le géologue en charge du chantier doit négocier. En parfait représentant d’une société moderne capitaliste qui a remplacé l’humain par des chiffres et des procédures législatives, la compagnie va tenter de les acheter, ou plutôt de les berner, puis se lancer dans une parodie de procès gagné d’avance, dans un pays régi par des lois faîtes par les occidentaux pour les occidentaux. Sans jamais discuter, sans jamais essayer de les comprendre, sans jamais quitter leur point de vue, sans jamais se défaire de leurs préjugés. Persuadé d’être supérieur, persuadé d’avoir raison, persuadé d’avoir à faire à des sauvages ou au mieux à des êtres enfantins aux croyances ridicules.


Entre plans fixes des aborigènes dans leur environnement qui n’est plus le leur, et plans panoramiques de cette nature inhospitalière défigurée, Herzog nous livre un film à la parfaite frontière entre ses grandes fresques fictives et ses petits documentaires évocateurs. Un film où l’on retrouve la patte habituelle du réalisateur allemand, que ce soit dans la façon de filmer les rites et les habitudes d’un peuple méconnu ou les rapports entre dominants et dominés. Un film qui soulève des questions intéressantes sur la propriété et la destruction des anciennes civilisations et de leurs cultures. Un film qui offre quelques passages mémorables, comme ces aborigènes assis dans les allées d’un supermarché construit sur un ancien site sacré ou la plaidoirie de « the Mute », dernier représentant d’une tribus, qui porte ce nom car il ne reste plus personne pour comprendre ce qu’il raconte. Touchant.


Malgré des personnages quelque peu stéréotypés, Where the Green Ants Dream est baigné comme son titre magistral pouvait l’annoncer, d’une poésie contemplative lascive, entre ciel et poussière, entre modernité et tradition, entre nature et progrès, entre immobilité et destruction.


La nature morte d’une nature morte, d’une culture morte, d’un peuple mort.

Clode
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le 18 juil. 2015

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Clode

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