Le Pianiste est un chef d’œuvre qui allie misère et grandeur. En nous faisant suivre l’histoire de Wladyslaw Spilzman, pianiste juif qui réussit à passer entre les mailles du filet, Polanski brosse toute la seconde guerre mondiale vue du côté juif en jouant sur les oxymores. Quand les mains du pianiste, à peine humaines tant elles sont meurtries, viennent se poser sur le piano de la maison en ruine, l’obscurité s’éclaircit, et la misère devient digne. Malgré son misérabilisme (on n’est pas épargnés par les images, et le devrait-on après tout ?), le film n’est jamais outrancier. Jamais cette misère ne devient lourde, et les images agissent comme une sorte de piqure de rappel pudique pour nous, les enfants du 2ème millénaire. Le pianiste est beau et poétique. C’est le film des alliances improbables : la lâcheté de l’homme qui se tapit dans l’ombre pendant que les autres survivants luttent pour la liberté et à côté le courage, la force de vie inouïe de cet homme ; la misère la plus extrême de la (sur)vie dans le ghetto et à côté la grâce du piano ; l’injustice et à côté la clémence ; la solidarité et à côté la solitude… Adrien Brody livre une prestation grandiose et bouleversante. Son air mélancolique et ses traits lunaires (qui en agacent certains, je n’en fais pas partie) crèvent l’écran. Il accompagne l’évolution de Wladyslaw avec une subtilité incroyable, et est littéralement bluffant quand son personnage chancèle : la démarche, les expressions du visage, tout chez lui devient chétif mais il réussit à garder du début à la fin cette flamme dans le regard. La beauté à toute épreuve (et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est mise à l’épreuve ici) de Brody est rehaussée par une superbe maitrise des images (les scènes sous la neige sont magnifiques). Avec le Pianiste, Polanski nous offre un film humble sur une période de l’histoire odieuse.