Don Birnam est alcoolique.



Son frère Wick et son amie Helen tentent de l’aider mais sitôt qu’ils ont le dos tourné, le voilà reparti en quête d’un verre de whisky, d’une bouteille. Malgré l’amour qu’on lui porte, malgré l’inquiétude qu’il suscite, c’est plus fort que lui, il faut qu’il boive. En toute circonstance. À chaque occasion.


The Lost Weekend, c’est l’isolement du bonhomme, une énième fuite vers l’oubli et le désœuvrement pour ne pas affronter la réalité, un film collé à ses basques éthérées. C’est une noyade en zoom lent jusqu’au fond étroit d’un verre de whisky, une âme qui roule de sous le canapé et le catalogue, sans concession, des méfaits et des raisons de l’alcool.
La peur. L’angoisse tenace dès le réveil d’une journée d’ennui et de médiocrité à venir, la terreur incessante, la violence des mots non contrôlés, l’affrontement des bons conseils… Partout où il va Don veut boire. Partout où il va des gens tentent de l’en dissuader, même ce bon Nate, le barman, à qui il finit par se confier, raconter la rencontre, le besoin irrépressible.


Malgré l’amour de la belle Helen, la gentillesse, le soutien, Don se laisse toujours terrasser par l’anxiété et la faiblesse. « La raison c’est moi, ce que je suis moi, ce que je voulais devenir et que je n’ai pas réussi ». Une machine à écrire, un rêve d’adolescent, puis la vie… Les échecs, la timidité, la méfiance de soi, la chute, les illusions, la pente insurmontable, pire, pernicieuse. La gueule de bois, la section psychiatrique, le délirium tremens, le suicide. L’écrivain raté cherche désespérément l’inspiration au fond de la bouteille, mythe facile, cliché…
Le scénario n’en oublie aucune.


Mais pour si bateau que soit l’accumulation,



le film pourtant touche.



Un point de vue neutre, un récit qui se contente d’être réaliste, sans concession certes mais sans apitoiement non plus. Billy Wilder pose une caméra empreinte de réalisme dans les rues de New York, face à un comédien imbibé de talent, Ray Milland, et qui porte une histoire simple et universelle, touchante. Une réflexion efficace sur les pentes de la déchéance alcoolique, forte parce que naturelle et sans détour, surtout sans moralisation.
Avec la forme lente d’une plongée insidieuse. Avec quelques touches expressionnistes pour dire l’intérieur de l’homme lors de cette nuit à l’hôpital : l’ombre des grilles de la vitre quadrillent l’âme et enferment l’esprit sous le visage épouvanté.


Le film passe,



rapide comme une bonne descente.



Presque indolore. Presque insignifiant.
Jusqu’à la séquence du délirium, jusqu’à la prise de conscience. Jusqu’à l’éclair d’espoir qui surprend le personnage autant que le spectateur. L’auteur et son comédien tendent un miroir à vif aux pauvres hommes qui errent saouls dans la vie. Un miroir acéré sur le fil du réalisme et qui assène un violent coup de conscience à ceux qui connaissent…


      Matthieu Marsan-Bacheré

Créée

le 16 nov. 2015

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