D’un côté, Yaron, policier d’élite au sein d’une unité anti-terroriste israélienne, fou de ses muscles et de son métier. Son adversaire principal, toujours le même (croit-il), c’est "l’ennemi arabe", celui là-bas, planqué derrière les check-points. De l’autre, un groupe de jeunes révolutionnaires israéliens prêts à tout pour dénoncer les inégalités sociales et l’oppression capitaliste de leur pays, devenu un État économiquement radical. Deux "clans", deux points de vue et trois parties pour un film bancal : Le policier affiche clairement une ambition et une volonté contestataires (le film a fait scandale en Israël), mais sa rigueur souffre d’une arythmie narrative qui nous abandonne en chemin (en haut d’une colline probablement).

La première partie, très réussie, suit le quotidien de Yaron (Yiftach Klein, bloc fermé et bloc physique), super-flic macho et bientôt père d’une petite fille. Avec une espèce d’ironie distanciée, Nadav Lapid observe sa drôle de mécanique existentielle (culte du corps, narcissisme, idolâtrie, angoisse de la paternité) et les ferveurs s’imposant à celle-ci : opérations commando, amitié virile à la limite de l’ambiguïté (grosses claques sur les épaules, regards appuyés, pugilats plus que rapprochés…) et collègues ultra-soudés (un tout, jusqu’au sacrifice), mais bien incapables d’instaurer entre eux une conversation ordinaire, solide, sinon des silences ou des banalités (injurier un Arabe, draguer bêtement une serveuse…).

Belle étude, presque naturaliste, d’un homme qui ne semble plus vivre que pour son pays et sa corporation, conditionné, obnubilé, dévoré, comme extrait de la (de sa) réalité. La deuxième partie, laborieuse, longuette, s’intéresse aux jeunes activistes, bourgeois désœuvrés prêts à en découdre et jouant les rebelles romantiques l’arme au poing pour aller crucifier le patronat, symbole inamovible d’un libéralisme carnassier exploitant à tout-va. Leurs atermoiements et la recherche de sens, d’héritage militant, à leur action sont à peine captivants.

À l’écart des forces et des nombreux enjeux de la première partie, Lapid s’égare, perd de son acuité et de sa finesse ; logiquement, Le policier finit par agacer, par ennuyer. La troisième partie (la prise d’otages), un peu étrange et jamais sérieuse (à l’image finalement de ce qu’elle est vraiment, presque improvisée, dérisoire), ravive nos curiosités et nos intérêts, mais il est déjà trop tard : le film ne plaît plus, et c’est dans une sorte d’indifférence que l’on regarde se jouer cette mascarade au fond d’un sous-sol, petit théâtre d’un pays qui se détraque et se fend, sans plus mener à rien.

L’espace de quelques (derniers) souffles et de quelques clignements d’yeux, après le dénouement dans le noir et le sang et le vacarme des tirs, un autre film donne soudain l’impression de s’enclencher quand, dans le regard de Yaron, on croit déceler un déclic, percevoir un bouleversement de conscience, conscience où résonnent encore, hurlées au mégaphone, les paroles de Shira, une des terroristes : "Policiers, vous n’êtes pas nos ennemis. Policiers, vous êtes aussi opprimés". Brèche morale grouillante des prémisses d’une révolte intérieure, envisageable, mais c’est évidemment un autre film qui commence et qui surgit là, et une autre odyssée aussi, plus passionnante (sans doute) que celle-ci.
mymp
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le 28 févr. 2014

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