De 1988 à 2000,cinq dates cruciales dans la vie d'une famille de français moyens.Ce deuxième long-métrage du réalisateur-scénariste Rémi Bezançon rappelle étrangement le formidable "C.R.A.Z.Y." du canadien Jean-Marc Vallée,sorti trois ans plus tôt,impression renforcée par la présence dans les deux films de l'acteur Marc-André Grondin.Mais si la structure de départ est similaire,le détail des développements diffère sensiblement et la version française a sa propre identité.Cette histoire pourrait à première vue paraître banale car il y est question de sujets ordinaires,la famille,ses bonheurs,ses malheurs,la vie,la mort,les engueulades,les réconciliations,mais le portrait sonne si juste qu'on est subtilement touché par ces gens si viscéralement proches de nous,dont l'existence est décrite sans esbroufe mais avec un réalisme saisissant,d'autant qu'en filigrane se dessine toute une époque révolue,celle de la France de la fin du XXe Siècle.Les modes se succèdent et passent,plus ou moins éphémères,du punk au grunge en passant par l'air guitare ou le rock garage,mais les fondamentaux sont éternels.Choc des générations,usure du couple,difficultés professionnelles,apprentissage de l'amour et de la sexualité,erreurs et maturité plus ou moins tardive.Bezançon restitue habilement cet entrelacs en truffant chacun des cinq chapitres de flashbacks qui viennent enrichir la narration et remplir les blancs laissés volontairement en route,le tout sans jamais perdre le spectateur.S'enchaînent ainsi les journées de joie ou de drame,qui parfois coïncident,les hasards bénéfiques ou malheureux,les rendez-vous manqués et les périodes de doute,suivant l'évolution inéluctable des personnages vers un destin prévisible mais marqué par un amour familial sans cesse chahuté mais au fond insubmersible.Une certaine philosophie poétique se dégage du film,ce sentiment d'impuissance compensée par tellement d'amour à donner et à recevoir,la seule chose au fond qui subsiste de cette bizarre aventure qu'est la vie,ce bref moment qui palpite désespérément au milieu d'un univers gigantesque où nous sommes probablement sur la seule planète habitée,quelque part dans la galaxie,entre Alpha du Centaure et Tatooine.Et pourtant on s'attache à Pierre,le grand-père pas commode,orphelin survivant de 39-45,à Robert,cet homme à l'ancienne qui fume trop et essaie mollement de s'adapter aux changements de la société,à sa femme Marie-Jeanne,anxieuse à l'idée de vieillir, de voir ses enfants quitter la maison et de ne plus plaire à son mari,à Albert le fils aîné sérieux et responsable quêtant l'estime de son père comme celui-ci recherche l'estime du sien,à Raphaël,le deuxième garçon,plus paumé que réellement désinvolte et irresponsable,à Fleur la petite dernière,qui connaîtra beaucoup d'errances dues à d'incessantes déceptions amoureuses.Tous ces personnages se cognent constamment aux murs de l'existence mais parviennent toujours à rebondir malgré les épreuves et à se retrouver malgré les ruptures.Autre qualité du film,rare de nos jours,l'absence totale de leçon de morale ou de propagande politique,des éléments carrément évacués du récit.La distribution est en état d'apesanteur et semble totalement habitée par les personnages,à commencer par Jacques Gamblin,l'acteur idéal pour incarner ce brave type conciliant qui intériorise énormément mais dont l'empathie pour les siens transparait irrésistiblement derrière un détachement feint.Zabou Breitman est d'une parfaite justesse en mère déstabilisée et épouse en proie à la crise de la quarantaine.Du côté des enfants c'est royal aussi avec un Pio Marmaï tonique et charismatique en aîné enclin à jouer les chefs de famille face à un père un peu passif,un Marc-André Grondin fabuleux comme d'habitude en jeune homme indolent et instable et l'adorable Déborah François,qui gère avec classe les états d'âme très divers de la charmante Fleur.Les seconds rôles sont très bien choisis et ont la présence nécessaire à la qualité du film,de Roger Dumas,le papy autoritaire et désagréable,loin des emplois de bons gros garçons joviaux de sa jeunesse,à Cécile Cassel,copine écolo-chtarbée d'Albert,en passant par François-Xavier Demaison,marrant en cancérologue dédramatisant,l'humoriste Jean-Jacques Vanier en ex souffre-douleur du lycée,Philippe Lefebvre en moniteur d'auto-école entreprenant,Françoise Brion en maîtresse de chien écrasé,Gilles Lellouche en rasta défoncé au cannabis,la délicieuse Camille de Pazzis,actuellement dans le feuilleton de TF1 "Demain nous appartient",en plan drague insaisissable de Raphaël,ou la petite Nina Rodriguez,excellente en Fleur jeune mais qu'on n'a pas revue depuis.Le titre du film s'inspire de la très jolie chanson d'Etienne Daho,qu'on entend sur le générique de fin.