Choquer, exagérer, dénoncer, ce sont en général les objectifs que poursuit un film d’anticipation dans son discours. Leur grand nombre fait qu’il est difficile d’en tirer une liste exhaustive, s’étalant des premiers temps du cinéma à aujourd’hui, et provenant de toutes les origines. Le film dont il est question ici est un film français (franco-yougoslave pour être plus rigoureux), et cette caractéristique le rend intéressant pour voir un regard différent sur l’anticipation. Nous allons donc pouvoir évaluer Le Prix du Danger.


Aucune date ni lieu ne sont donnés concernant l’intrigue, même si l’on suppose qu’elle se déroule en France dans un futur proche. Une émission à succès, « Le Prix du Danger » , propose à ses spectateurs de voir un candidat présélectionné devoir survivre quatre heures dans une poursuite infernale contre cinq « traqueurs » qui ont pour mission de le tuer dans le temps imparti. Ces traqueurs sont également des candidats qui ont été sélectionnés suite à un casting. Si le candidat gagne, il empoche un million de dollars, sinon, c’est qu’il est mort. Le film débute directement lors d’une de ces traques, voyant le candidat être vaincu par les traqueurs, et nous allons suivre un nouveau candidat qui va tenter de remporter le jeu.


Le Prix du Danger est un film bourré de cynisme qui ne manque pas de s’attaquer aux dérives sociales, au voyeurisme, et à une industrie de la télévision cherchant à toujours être plus influente et à exploser l’audimat par tous les moyens possibles. Le candidat est un chômeur désabusé mais cherchant à obtenir un avenir plus radieux, et représente l’image du français modeste aux moyens limités mais aux rêves de soleil et de sérénité. Les producteurs de l’émission et le directeur de la CTV (la chaîne retransmettant l’émission) sont présentés comme des personnages sans le moindre scrupule, obsédés par la réussite de leur émission, n’ayant d’yeux que pour les rapports statistiques leur montrant leurs avancées dans une quête toujours plus grande d’audience. Enfin, l’animateur est le pont entre tous ces personnages, emblème d’une télévision impeccable et avenante sur la forme, pleine de paillettes et de lumière, mais cachant derrière nombre de mensonges et de manipulations, tant pour cacher la vraie nature de l’émission, que pour glisser de nombreux messages publicitaires visant à pousser le spectateur à consommer.


Au-delà d’être une simple mise en abyme du monde de la télévision, avec un regard violent et terriblement critique, Le Prix du Danger réussit le pari de mettre également le spectateur face à sa propre condition. Les spectateurs de l’émission sont montrés comme des badauds en quête de sensations forte, venus vivre une expérience inédite sous le couvert du candidat qui va vivre pour eux cette terrible aventure. Les traqueurs eux-mêmes avouent que leur motivation est notamment d’enfin pouvoir tenir une arme et s’en servir dans un cadre réglementé pour assouvir leurs propres pulsions. Le directeur de la chaîne (Bruno Crémer), le mentionne également et le justifie en expliquant que la violence ici exposée et vécue permet d’annihiler et d’assouvir les pulsions de la population pour réduire la violence dans la société. Et cette même violence est ressentie par le spectateur du film qui, prenant fait et cause pour François (Gérard Lanvin), est pris par cette même adrénaline et ne peut que ressentir une certaine satisfaction lorsque les traqueurs tombent les uns après les autres dans un déchaînement de violence innommable, mais, finalement, « ils l’ont bien cherché » . Dès lors, le spectateur du film se retrouve dans la même situation que les spectateurs de l’émission, et comprend que bien qu’il s’agisse d’une fiction, elle se rattache à une réalité bien palpable.


Le Prix du Danger parvient à s’articuler d’une manière suffisamment judicieuse pour, d’abord, exposer un média devenu surpuissant et totalement déraisonnable puis, ensuite, en seconde partie, suivre un rythme totalement effréné pour symboliser l’explosion de violence émanant du programme, mais faisant également écho à toutes les pulsions refoulées d’une horde de téléspectateurs insatiables. Le film permet aussi de révéler Gérard Lanvin (qui fêtait son anniversaire hier) dans un rôle simple d’apparence, mais représentatif d’une société à laquelle on vend de nombreux rêves, mais laquelle est acculée par une réalité bien moins agréable. Servie par un casting très bien choisi (Marie-France Pisier en productrice froide, attirante mais manipulatrice, Bruno Crémer en ténor de la télévision implacable et intraitable, ou encore Michel Piccoli en animateur exubérant dont on a l’impression qu’il a toujours exercé le métier), s’achevant sur un final détonant et mémorable, Le Prix du Danger est de ces films qui, sur la forme, ne révolutionnent pas le genre, mais ont pour mérite de proposer un discours puissant, et qui nous fait également réfléchir sur notre propre condition.

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le 23 juin 2017

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