Aujourd’hui je suis lassé de ces œuvres tellement visionnaires qui finalement se contentent d’aborder superficiellement leur sujet, pour apporter de l’animation sujette à désuétude, assortie de peu de réflexion et de postures communes. Ce film prétendument pillé par Running Man alors qu’on peut l’accuser de singer Rollerball en est un grand exemple. Le moralisme de la militante est trivial et facile, malheureusement le discours diabolique de Cremer est plus juste et s’il est odieux, contrairement à ce que voudraient décréter les auteurs ou bien cette activiste, il n’est pas davantage démagogue ; chacun amène une possibilité de soulagement au peuple, les uns sur le seul plan éthique (éventuellement aussi en protégeant les plus vulnérables à la tentation ou au besoin du jeu), la chaîne sur un plan plus large et effectivement abject (‘vidange’ des humeurs et du besoin d’assister et participer à un acte tragique, émulation collective similaire à celle pour les jeux sportifs, fugue ou du moins croyance dans la possibilité d’une transgression pas ou peu socialement répréhensible, puis éventuellement fonction éthique pour les anti-pauvres les plus mesquins – via un levier similaire à celui mobilisant les partisans de la sélection ‘musclée’ dans The Purge, satire de la pseudo ‘sélection naturelle’ à l’œuvre dans une société développée telle qu’on peut l’envisager présentement).


D’ailleurs ce n’est pas étonnant que Boisset, comme toute personne trop longtemps socialiste ou simplement de gauche, se soit fâché avec l’homme ordinaire et spécialement sa variante la plus proche, donc la déclinaison locale de l’Humanité, au point d’en faire un démon visqueux dans Dupont Lajoie ou de pondre ivre de haine la comédie involontaire Canicule. À force de croire que l’humain est perverti alors que la société dans laquelle il s’écrase ou s’épanouit ressemble aux vœux de la majorité, ou du moins respecte une volonté puissante et persistante, on se prépare une chute d’autant plus violente (et des réactions déraisonnables où tout ce qui compte encore c’est la manichéisme, avec en l’occurrence les franchouillards du côté mauvais) quand s’achève la possibilité de considérer son prochain comme une créature faillible et soumise à d’odieuses influences, mais certainement bonne ou méritante une fois que sa nature aura repris le dessus. Et on entre dans une guerre, dégueulasse mais fondée, à la majorité qu’on découvre lamentable et malveillante – et animale comme on espérait qu’elle ne le soit pas, comme on espérait ne pas l’être. Soit la propagande adverse est trop forte et l’humanité de nos prochains trop faible ; soit (mais les propositions sont cumulatives) nous avions une lecture erronée, trop crû en la grandeur de l’Homme – or si des peuples entiers en viennent à se lasser des plus hautes valeurs ou de leurs divinités, comment la masse atomisée de ses prochains pourrait garder de sa superbe à long-terme ?


Ce film a du génie, il sent la menace de transformation de l’humain en marchandise, il saisit la pourriture d’un système humain arrivé à un haut degré de sophistication ; mais il ne la montre pas dans un ensemble, en exhibant les aspects plus endurables et ceux enthousiasmants (ou bien, dans une phase de saturation d’un modèle, les formes de légitimation) qui rendent viables (ou achètent le consentement dans) la plus malsaine des sociétés. Il y a bien la banalité de cette jungle urbaine domestiquée pour la rendre proche, mais elle n’apparaît que par le biais abruti du spectacle sans spontanéité ; il n’ a de place ni pour des sentiments moins bourrus ou l’aperçu d’aliénations plus subtiles comme le montrait Network, ni pour de l’opposition sérieuse, des contre-modèles, des intérêts contraires ou concurrents ; on subit une vision pas négative, mais misérable de l’humain, objet malheureux ou complice, dont la volonté se résumerait à hésiter entre servir son intérêt ou choisir le bien – et comme le ‘bien’ est nébuleux chez Boisset, il ne reste que la dénonciation stérile des mauvais penchants humains incarnés par des êtres obscurs (et socialement corrompus ou arriérés). C’est bien l’ironie d’un certain gauchisme (le même sévit sur FranceInter), dégradant l’humain sans se sentir éclaboussé – forcément les représentations nées de cette approche sont bancales et tout élan vital ferme paraît affreux, sauf celui qui s’oppose aux autres pré-existants. Aussi l’association avec le capitalisme est simpliste et éculée – puis ces pubs vivantes semblent déjà ringardes pour 1983.


Comme souvent, comme dans La mort en direct de Tavernier également sur la télé-réalité avant l’heure, la fin est négative – en vérité fataliste et brutale. Cette note désespérée a le goût de la lucidité et de l’honnêteté – effectivement il est vain de lutter contre un système aussi tentaculaire, vain de s’attaquer seul et frontalement à n’importe quel ordre établi. Et vain de croire qu’en se prêtant à un sale jeu, par sa volonté ou des jeux d’alliances et de convictions, on en tirera un bénéfice plus grand que la sanction prévisible (c’est justement le cas du commun des candidats d’émission de télé-poubelle qui souvent ne gagneront qu’une notoriété indésirable, ou bien désirable car à la mesure de leur grossièreté) – hormis peut-être sur un plan symbolique, puisque le type (très mal interprété par un acteur prodigieusement dépourvu de charisme voire de la moindre capacité à émouvoir ou interpeller – ce qui s’accorde avec cette perception d’une humanité sans intériorité, sans ressources propres, face à la broyeuse) devient le Che du mois.


Mais avec ce défaitisme complet ce film et ces films nous plongent en enfer et nous affirment qu’il n’y a ni sortie, ni lumière, ni alternative – même pas de refuge ; en-dehors d’une dénonciation qui doit être vaine ou d’une opposition intime qui doit nous obscurcir. Et ils n’ont pas forcément tort ; mais font-ils alors autre chose que collaborer à ce qu’ils détestent, en fermant la zone ? Bien sûr une œuvre ne saurait contenir l’essentiel des possibles ou simplement de la carte relative à son sujet, ni dans le cas d’un pamphlet apporter l’antidote ; mais pourquoi négliger, dans ce terrain miné et pourri, ce qui déjà le contredit, le minimise, ou semble pouvoir vivre et faire vivre en-dehors de cette logique ? Le film minimise autant les mauvais instincts du public (mais pas des participants, prédateurs assumés) que ses vertus et son refus du jeu ! Les individus (qui ne sauraient être que légers, trompés ou demeurés, à l’exception des collaborateurs flagrants nécessaires au scénario – mais leur cruauté et les motivations sont sommaires, ce qui ramène à la fois à la bêtise du regard de Boisset et à la pente nanardesque de ce film ‘à gros concept’) sont toujours des figurants et ne semblent jamais mus par leurs consciences – sinon par ces quelques manifestants porteurs d’idéaux. N’y aurait-il pas une fascination coupable pour l’aliénation, prêtée à des mains sales, ainsi que sinon une croyance en l’entropie maîtresse du cours de l’Histoire, une incapacité ou un refus à envisager le progrès du genre humain autrement que de façon absolue – il adviendra pur ou restera interdit par ses ennemis ! Peut-être que ce refus de considérer la face sombre et médiocre des individus, la gêne à l’égard de leurs besoins autres que strictement vitaux ou religieusement humanistes, pousse [les idéalistes de toutes sortes, même de trempe anar ou rebelle] au déni et à l’hypocrisie – ou à projeter cette face méprisable sur de mauvais participants à la course vers l’épanouissement du genre humain ?


Enfin ce Prix du danger relève du film d’exploitation répétitif et démonstratif à outrance, ce qui le rend moins attractif qu’un film bisseux ou d’action qui avancerait plus insouciant avec le même décors – et, peut-être, s’autoriserait un peu d’imagination et de nuances en cours de route. Il n’a pas non plus la capacité à stresser d’un Hunger Games : qui a pu s’inquiéter du sort de Lanvin ou d’une dérive de ses compagnons de jeu ? Les personnages sont terriblement caricaturaux, la direction d’acteurs semble confuse – ce qui permet à chacun, dans son couloir, de briller par ses qualités, son style éventuellement inapproprié, ou de se montrer ennuyeux dans le cas de Piccoli, croulant sous ses laïus lourdingues et connotés [Zitrone & cie], ou inepte dans le cas de Lanvin. À moins de le comparer à Videodrome, on pouvait facilement apprécier ce Prix du danger à sa sortie pour son potentiel visionnaire – l’argument est assez fort pour jeter un voile pudique sur les doutes quant à l’exécution et, peut-être, s’accommoder du biais pessimiste de gauche et de cette fibre futilement teigneuse et masochiste. Mais même alors, comment ne pas sortir simplement blasé – à quoi bon sortir offusqué d’un film qui vous raconte que le monde est pourri mais n’a d’yeux que pour lui et n’accorde ni dignité ni faculté un peu élevée (sinon cet héroïsme de ‘tête brûlée’, qui ramène encore à la soumission aux déterminations – en dépit de gesticulations qu’on est donc censé admirer) aux humains floués qu’il est censé défendre ?


https://zogarok.wordpress.com/2021/07/28/le-prix-du-danger/

Créée

le 28 juil. 2021

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