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auf quelques sillons lacrymaux au moment du verdict final, « Le Procès Goldman » est un film sans eau. Alors certes, c’est là un détail relativement insignifiant, mais assez rare pour être souligné ; en connaissez-vous, vous, des films sans eau ? Cas d’autant plus intéressant qu’il s’agit-là d’un film sur la parole ­— ou mieux encore, comme l’entend le réalisateur Cédric Kahn, d’un film sur la parole comme fabrique à conviction. Or, difficile de ne pas penser à l’hydratation lorsque que l’on s’aventure dans le monde cauteleux de la pesanteur oratoire dans le cadre d’un tribunal. Outre de l’eau pour les avocats (et pour ce moulin à vent que semble avoir été Pierre Goldman), le film est également dénué de musique, ne propose qu’un seul plan en extérieur (un plan de coupe, en plus), ne comporte quasiment aucun acteur connu (démarche louable pour le traitement d’une telle affaire) … Bref, c’est plus qu’un film minimaliste, c’est un film sec.


Et pourtant, dans ses deux heures, « Le Procès Goldman » en laisse couler des choses. Tout d’abord, la première chose qui frappe, c’est la sociologie d’un procès mettant en perspective la complexité des nombreuses relations qu’avait Pierre Goldman avec différentes communautés (anciens résistants, antillais, activistes politiques, Simone Signoret (!)) et qui sont ici traitées, ni plus ni moins, comme un reflet de sa personnalité autant éclectique que sibylline. Aussi, aucun d'eux ne semble le connaitre vraiment, relégant le personnage à une incarnation des doutes et des divisions se baladant dans la société française des 70's ; par exemple, lorsque la compagne ou les amis de Goldman se posent à la barre, l’anti-héros se voit reléguer à une forme de floue encline à demeurer dans l’ombre de la mise au point. Cet aspect sociologique principalement tiré des figurants n’est que le début d’un rhizome alimentant une mise en scène méticuleusement tisée sur les formes du documentaire : caméras tremblantes (uniquement sur les gros plans, alimentant encore davantage le réalisme), zooms aléatoires, angles stratégiques : nous sommes là bien loin des fixités habillant les récents « Saint-Omer » (2022) et « Anatomie d’une Chute » (2023) ­­— ne s’en dégage même plus une impression de réalisme, mais de tournage en direct.


Ce qui semble premièrement intéresser Cédric Kahn, c’est la théâtralité de la machine judiciaire, où comment Kiejman (excellent Arthur Harari), homme fébrile et hésitant, devient, une fois franchie la porte du tribunal, un avocat raisonner empreint d’une veine autoritaire. De la raison, justement, c’est tout ce qu’il manque à Pierre Goldman : il éructe des propos dérangeants, subversifs, à la poursuite passionnée d’un idéal politique brouillé. Lui et Kiejman sont deux mondes irréconciliables, comme l’atteste fissa la séquence introductive inaugurant une rupture de confiance entre les deux hommes. Et pourtant, le film va les faire se croiser, ces personnages-métaphores déshydratés dont l’un représente l’appareil judiciaire et l’autre l’idéal politique : dans sa plaidoirie finale, le roide Kiejman s’inspirera de la passion de Goldman, tandis qu’ensuite ce dernier prononcera des paroles d’une surprenante rigueur par rapport à tous ses dires précédents. Il n’y aura rien d’autre dans ce film, pas de passion, pas de sensation, mais que des verbes d’action, des faits ! Et c’est un fait, deux heures sans s’hydrater, c’est long. Heureusement, entre ces quatre murs, le temps défile si vite qu'on se croirait presque dans l'eau bouillante.

JoggingCapybara
7
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le 14 sept. 2023

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