Rétrospective #16 : The Return of Godzilla (1984)

Joli retour et joli démarrage pour cette ère Heisei. Suite à une ère Shōwa partie en couille et souffrant du syndrome de l'exploitation rapide à bas prix, la Toho a voulu donner une nouvelle vie à son monstre fétiche.


Les 9 années qui séparent ce film du précédent prouvent que ce drift n'est pas anodin et qu'il est le fruit d'une bonne réflexion et d'une remise en cause du traitement nanardesque réservé jusqu'alors à la franchise.


La Toho veut reconquérir le Japon et ses spectateurs et passer par la case de la production au rabais ne passera plus. Les années 80 c'est l'explosion de la TV et par extension de programmes et films tous plus cheap les uns que les autres. Pour se démarquer faut voir grand, honorer le cinéma oserais-je dire.


On a donc là un semi-reboot, dans la mesure où il se place comme une suite directe au tout premier Godzilla, sorti 30 ans plus tôt, ignorant toutes les suites sorties jusqu'alors, et à la production bien plus confortable puisque l'on parle d'un budget de plus de 6 millions de dollars contre un peu plus d'un million pour le précédent, Terror of Mechagodzilla, même s'il ne faut pas oublier que près de 10 ans les séparent, et donc d'inflation. Après vérification, le budget de 1,2M$ de ToM réévalué avec l'inflation serait équivalent à 2,5M$ en 1984, donc on a bien là un bon apport de moyens supplémentaires.


Le ton est donné dès les premières secondes avec ces plans rapprochés sur un volcan en éruption, et tout le film tâchera de nous prouver que ces 29 dernières années de nanars n'étaient qu'un mauvais rêve.


On a droit à un film autrement plus sérieux avec :
- des personnages crédibles et interprétés avec on ne peut plus de justesse que dans les précédents
- un univers revenu à la normale, dénué d'extraterrestres, de corporations ou de tribus tirés par les cheveux
- une musique qui a enfin évolué après deux bonnes décennies de films qui se sont évertué, sauf lors de rares occasions, à recycler encore et toujours les mêmes morceaux et les mêmes bruitages
- des décors intérieurs plus crédibles, en lien avec le retour d'un univers un peu plus normal bien entendu, mais aussi de meilleure qualité
- une cinématographie mieux appliquée, et plus largement à un film techniquement et visuellement beaucoup plus abouti.
- un rythme pensé et une intrigue qui respecte parfaitement l'esprit du premier


Godzilla revient lui aussi sous une excellente forme. Son redesign lui rend des attributs plus bestiaux, il se tient un poil moins comme un humain dans un costume, ne se comporte pas comme un abruti, c'est enfin un monstre à nouveau.


On devine toujours que c'est un costume, mais toute la production design a été améliorée, et pour la première fois il a des expressions, notamment "labiales" (?), avec cet espèce de retroussement des babines.


À nouveau intelligemment teasé, monopolisant l'attention, les conversations et les craintes, il chamboule les plus grandes puissances par sa simple réapparition. Puis il est bien filmé, il est impressionnant, il effraie les humains, c'est redevenu une véritable menace, un symbole de puissance incontrôlable et non un jouet pour amuser les enfants.


Il retrouve également une agilité qui correspond mieux à son gabarit, et ce poids et cette taille sont enfin de nouveau honorés par des plans et artifices réussis.


Ça n'empêche pas le film de proposer quelques choix étranges, je pense à ce drôle de moment où Godzilla s'enfume la gueule à la fumée atomique, mais ils sont tellement mineurs et inoffensifs que je pardonne volontiers.


Passons à une autre signature de la franchise : les scènes de destruction. Là encore, GG, car si j'ai été habitué au meilleur comme au pire, ce comeback est béni par une production qui a pris soin de ne pas nous décevoir là-dessus. Les miniatures sont plutôt de bonne facture, les explosions et destructions aussi, le respect du rapport d'échelles constant, la mise en scène a gagné en gallons, y a tout un de très sympatoches plans composés qui permettent de mieux caler des humains et Godzilla dans un même plan ou d'incruster Godzilla dans des décors de grandes villes (finis les fake plateaux verts avec des parties de poussière et de fausses constructions en carton), j'en passe et des meilleurs.


C'est loin d'être parfait, il y a quelques beaux ratés comme ce plongeon d'un Godzilla tendu comme un bâton assez moche. Mais celui-ci est vite suivi par de jolis visuels sur un bateau malmené par les vagues et encore après quelques jolis plans de Godzilla en mouvement à la surface de l'eau, sous la tempête et au ralenti.


Après tant de films qui ont tout fait pour se contenter du minimum, ça fait un bien fou cette qualité de production. Alors j'excuse vite les couacs et les loupés.


Le film se permet d'être contemplatif par moments, ça fait du bien, et sait recréer la tension quand il le faut. Quand Godzilla débarque, tout le monde sait que ça va être un désastre et effectivement, quand Godzilla débarque, désastre il y a.


Aussi l'arme atomique redevient un enjeu indispensable au récit et au monstre.


Elle permet de remettre sur le devant de la scènes ce questionnement éthique quant à son utilisation, d'autant que nous sommes confrontés cette fois-ci à une mondialisation accentuée et des relations internationales fragiles, raccords avec l'époque de production du film, qui se veut donc être, comme le film original, une allégorie de la situation mondiale d'alors, froissée ici par la guerre froide.


Les humains dépeints ici sont terre-à-terre, et victimes des passages répétés de Godzilla. Ils n'en sont pas la cible, ni son manipulateur, ils se trouvent juste être sur sa route.


Plus tôt je disais que l'univers était revenu "à la normale", le film se permet toutefois quelques folies avec par exemple ces lasers très StarWars-esques, ce satellite tireur de missiles ou ce vaisseau qui ressemble davantage à un vaisseau alien qu'à un bombardier, m'enfin je veux bien fermer les yeux tant le reste demeure suffisamment cohérent.


Je regrette une petite perte de vitesse une fois Godzilla endormi. Sur le papier ça fonctionne bien, mais il y a une sous-menace qui est censée créer une effroyable course contre la montre qu'on ne ressent pas des masses et qui gaspille cette pourtant efficace bouffée d'air une fois le monstre momentanément endormi.


Si les humains sont mieux interprétés et plus crédibles, ils n'en demeurent hélas pas mieux exploités sur la durée, avec une bonne poignée de persos dont le film ne sait plus trop quoi faire une fois le dernier tiers entamé.


L'absence de sentiment d'urgence qui devrait normalement être créé par la sous-menace mentionnée plus haut rend ces scènes un peu superficielles alors qu'une fois encore, sans cette menace, elles passeraient probablement mieux.
Mais sans cette sous-menace, nous n'aurions pas ces quelques plans très sympas avec la ville de Shinjiku baignée d'une lumière rouge écarlate très a e s t h e t i c.


Je regrette aussi qu'à la fin Godzilla se sente aussi investi en les petits êtres que nous sommes et notamment en un vaisseau, au point de faire tomber un building sur sa tronche, même si c'est compréhensible vu l'avalanche de coups que ce vaisseau surcheaté lui a balancé. Et tout ça pour ensuite se barrer nonchalamment grâce à, une fois encore, une technologie qui permet d'attirer le monstre à l'aide d'une sorte de fréquence, et chuter comme un nigaud au pied du gouffre d'un volcan sans trop se poser de questions. Reste un final assez fort, mesuré et loin d'être un banal happy end, en témoigne le morceau qui accompagne le générique de fin.


Un film qui aura donc beaucoup appris de ces 30 années de franchise pour restituer ce qui faisait la force du film original tout en s'adaptant à son époque et usant -je le pense mais n'étant pas un connaisseur des films de kaijus- du meilleur des techniques et technologies pour introduire Godzilla comme il se doit dans une nouvelle... ère.

Chernobill
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le 14 mars 2021

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