Le Sacrifice est le septième et dernier film d'Andrei Tarkovski qui sortira l'année de sa mort : 1986 (il fera d'ailleurs l'étalonnage sur son lit de mort !).


Un documentaire par Chris Marker suit les derniers jours du cinéaste ; Une Journée d'Andrei Arsenevitch en nous faisant une rétrospective de son œuvre ainsi qu'une légère analyse sur Le Sacrifice.


Le film nous parle d'Alexander un ancien comédien, qui fut célèbre, mais qui vit maintenant sur une petite île, avec sa famille composé de sa femme et son fils de six ans qui a la particularité d'être muet.


Il croisera au début du film, Otto, un facteur qui a une fascination pour Nietzsche et son éternel retour, auquel il fait une référence assez maladroite, car il énonce ce concept comme un simple cycle où les gens naissent, meurent et revivent en boucle.


Alors que le concept de l'éternel retour, selon les interprétations les plus récentes, définit davantage l'éternel retour comme un concept en rapport avec l'amour pour la vie que la foi, et que l'éternel retour serait le fait d'avoir vécu une vie qui serait réussit pour la voir se répéter, amenant à tout faire pour profiter de la seule vie qui nous ait " offerte ", en troquant la morale dite d'esclave, pour la morale des aristocrates.


On peut voir dans le film des questionnements sur le regret, en particulier avec Adélaïde, la femme d'Alexander, qui appréciait être la femme d'un acteur renommé, mais qui une fois que son mari a tout plaqué pour vivre retiré, regrette la vie qu'elle aurait pu avoir ...


Au milieu de tout cela, Alexander au moment de l'annonce de la catastrophe nucléaire mondiale, le jour de son anniversaire, profitera de ses moments représentant davantage sa mort prochaine que la fin du monde (même si cela veut dire que c'est la fin de son monde). Pour changer sa vie, il devra arrêter de se mentir et de transmettre le pire de lui-même à son fils.


Le cœur du film a tout du rêve qui dévoile les échecs et les mensonges avec l'enjeu symbolique du sacrifice qui avait été amorcé dans Nostalghia : sauver l'humanité en se sauvant soi-même. Pour permettre au verbe de revenir d'où le : « Au commencement était le verbe, qu'est-ce que ça veut dire, papa ? » du fils qui a retrouvé la parole, donc le verbe est la vérité !


Dans ce film, la maison est également un personnage, à l'instar de l'océan de Solaris ou encore de Silent Hill, pour les fans de jeux vidéo. Ces pièces communiquent avec nous pour véhiculer les émotions des personnages, tout en permettant aux personnages du film de rencontrer ceux de Nostalghia sans explications rationnelles comme dans Solaris.


Cette fameuse maison quasiment calquée sur celle que Tarkovski avait en Russie, alors que celle en Italie était loin, tout en visionnant cette même maison au travers d'une autre maison de passage ...


Voilà peut-être pourquoi la chose qui devait être sacrifiée était une maison !


Dans le plan-séquence du film où Alexander brûle sa maison en sacrifice, ce plan est comme une sorte de miracle ! Il mélange les quatre éléments : le feu avec la maison en feu, l'eau au bord du cadre, l'air qui est amené par l'éloignement des bords et la terre.


De plus, les positionnements et les cadrages amènent une aura métaphysique avec en plus une sorte de tension par-delà de la caméra d'Andrei Tarkovski, qui a dû être dans le même état que Boriska dans Andrei Roublev, quand il fait fondre la cloche.


Cette fin fait en plus écho à la citation d'Otto au début du film : " un cadeau n'en est pas un, s'il n'y pas une part de Sacrifice ", sacrifice que fait Alexander avec sa maison pour la menace nucléaire et son fils, sacrifice d'Andrei Tarkovski avec sa vie pour son cinéma !


Dans le Sacrifice, nous pouvons remarquer que le dernier plan du film, est le premier plan de l'Enfance d'Ivan, qui montre un travelling de haut en bas sur un enfant au pied d'un arbre, volonté de Tarkovski de montrer la terre, avec l'impression que le cinéma de Tarkovski a fait comme dans l'Enfance d'Ivan, une descente vers la terre pour enraciner son cinéma pour ensuite tirer sa révérence avec ce plan, qui est un travelling qui monte vers l'arbre signe d'élévation vers les cieux, en rendant hommage à son fils, symbole de l'avenir et de la transmission de son savoir.


Le plus incroyable dans ce plan, c'est que Tarkovski ne savait même pas que ses jours étaient compté au moment de faire ce plan, même si, Boris Pasternak avec qui il avait entré en communication, lui avait dit qu'il fera sept films, pour qu'Andrei lui demande " Seulement ? ", ce à quoi Pasternak répondra : " Mais des bons ! "


Niveau réalisation, il s'agit du film de Tarkovski avec le moins de cut, en effet, les plans de 8 minutes s'enchaînent amenant une sorte de méditation expliquant l'aura japonaise du film avec la musique de fin du film, qui si vous connaissez la musique japonaise, est une musique de méditation.


Tout cela dans le but de nous poser des questions existentielles comme : " Pourquoi vivre ? " justifiant le fait que la caméra tienne une distance par rapport au personnage !


Sinon, on a un perfectionnement de la technique de montage dans le cadre poussé à son paroxysme, le mysticisme y est constant avec cette lumière suédoise tout droit sorti de chez Bergman (il filme sur l'île de Gotland avec le même directeur de la photographie que lui, Svin Nykvist ainsi qu'avec ses acteurs.).


On retrouve aussi les symboles récurrents de l'œuvre de Tarkovski comme lors de la scène de l'apocalypse, où on retrouve le regard du Christ Pantocrator, les plans sur l'adoration des mages de Léonard de Vinci, des compositions de Bach, la poésie, etc.


Ainsi que ses thèmes de prédilections : la recherche du huit clos, l'onirisme des images, le rapport à l'univers, l'opposition entre l'idéal de l'enfance perdue et un univers froid et déshumanisé ici symbolisé, par la possible fin du monde.


Tarkovski est sans conteste l'un des plus grands cinéastes de tous les temps, la qualité et la passion qu'il insuffle dans ses films, n'ont d'égal que son amour profond pour l'humanité !


Pour conclure cette rétrospective, j'aimerais finir sur une citation de Tarkovski qui définit bien le film tout en donnant une grande partie de sa vision du cinéma : " La fonction de l'art n'est pas, comme le croient même certains artistes, d'imposer des idées ou de servir d'exemple. Elle est de préparer l'homme à sa mort, de labourer et d'irriguer son âme, et de la rendre capable de se retourner vers le bien. "

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le 7 juil. 2019

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Albator_Larson

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