Entre 1969 et 1974 le chanbara vit ses dernières heures. L'emblématique studio de la Daiei a mis la clé sous la porte (1970) et les quelques chefs-d'œuvre du genre qui émergent sur la période (Goyokin, Hitokiri, Baby Cart 1-4, Lady Snowblood) font office d'arbres qui masquent la forêt et apparaissent comme des révisions crépusculaires car déjà, les studios se sont tournés vers le petit-écran, les films de yakuzas et le pink, qui correspondent mieux aux attentes du public. Le maître Misumi quant à lui avait eu toutes les peines à boucler son film-testament Les Derniers samouraïs (1974) et son 5e volet de Baby Cart montrait des signes d'essoufflement (le 6e, qui n'est pas de lui, fait pâle figure par rapport aux premiers épisodes).
Fukasaku prend le chemin inverse. En 1977 il tourne la page du yakuza-eiga après Hokuriku Proxy War, un genre auquel il a largement contribué à façonner le renouveau dans sa forme moderne, crasse et nihiliste. Auréolé de son succès populaire, les studios vont lui donner les moyens de se lancer dans des productions ambitieuses en 1978 : un remake de Star Wars, une nouvelle version des 47 rônins et ce Yagyu Clan Conspiracy (le titre original est beaucoup moins con que la VF). Partant d'une trame utilisant des personnages historiques réels (les shoguns Hidetada et Iemitsu, Tadanaga le frère de ce dernier, le conseiller Doi, Yagyû Munenori et son fils Jubei, etc.) il va construire une histoire mêlant complot et lutte fratricide pour le pouvoir, ce qui lui permet de jeter son regard critique et iconoclaste sur une période de l'histoire et son élite. Ici l'élite est montrée sous l'angle des intrigues de cour les plus viles, à travers le personnage clé de Yagyû (Kinnosuke Nakamura, impeccable dans le rôle), parfaitement montré sous un aspect froid, cynique et conspirationniste, et un jeune shogun (Hiroki Matsukata) qui n'hésite pas à tuer le frère, couvrir le meurtre du père, exiler la mère et cautionner le massacre de la population (le seule fois que le peuple est montré dans le film est lorsqu'il subit la violence de la caste des samouraïs). Michael Corleone à côté ferait figure de sage.
C'est donc une relecture de l'histoire présentée à la sauce Fukasaku, c'est-à-dire anarchisante et nihiliste, incarnée par des hommes prêts à tout pour le pouvoir. Au passage, les événements décrits ici sont totalement fictifs, même si la conclusion sous-entend qu'ils pourraient être réels et que l'histoire officielle serait une vaste manipulation de la part des élites.
Alors est-ce que le film est réussi sur le fond de la critique sociale ? Non si on le compare aux œuvres comme Rébellion de Kobayashi ou Goyokin de Gosha qui l'avaient fait bien avant à la perfection. D'ailleurs, impossible de ne pas le comparer à nouveau au Gosha sorti la même année (Bandits vs Samurai Squadron), qui dans la même veine apparaît comme plus mature et (un peu) moins kitsch. Parce qu'en effet on sent déjà poindre dans le film de Fukasaku la touche spectaculaire dans les effets de style et les personnages (le bandit borgne, l'aveugle, le manchot à la fin), qui correspond certainement aux goûts de l'époque, puisqu'on la retrouve également dans ses films suivants, Samurai Reincarnation qui fait presque office de suite et surtout La Légende des huit samouraïs qui est un sommet du nanar. Pour autant la forme ici est relativement classique et la réalisation moins nerveuse que dans ses jitsuroku, plus posée, plus longue aussi (à partir de là Fukasaku ne réalisera quasiment plus que des films de 2h20). C'est une véritable rupture plus que la continuité d'un travail qui avait amené Fukasaku à dynamiser les films noirs dans les années 1960 puis à révolutionner les films de yakuza dans la première partie des années 1970.
Comparativement aux grands titres du chanbara et à l'âge d'or des films de samouraïs, le pari me semble raté. Pour autant ça reste un film largement considéré par le public qui trouvera ses contemplateurs pour les mêmes raisons qu'il m'a laissé de marbre.