L'étrange position de "The Terminal" dans la filmographie de Steven Spielberg tend à prouver deux choses : La première, le réalisateur n'a pas de plan de carrière défini. La seconde, l'implication quasi sibylline mais bien présente de son éternel cheval (de guerre) de bataille à savoir l'hommage à ses Maîtres couplé au regard politique du citoyen impliqué. Spielberg n'aura pas attendu la sortie de cet opus pour s'exprimer sur les conditions difficiles de l'étranger sur le territoire Américain malgré les belles phrases enrobées de sucre sur les libertés individuelles et le pouvoir de réussite.
Endosser le pardessus de Frank Capra, quoi de plus naturel pour le réalisateur de "Jurassic Park" lui qui a toujours regardé les étoiles avec le sourire de l'enfant innocent. Cependant comme beaucoup d'artistes, la personnalité de Spielberg est teintée de schizophrénie avec de formidables éclats de violence qui en auront laissé plus d'un sur le carreau. Inconsciemment, son cinéma avait déjà anticipé l'administration de George W. Bush en abordant la fin des années 90 avec une certaine amertume et un désenchantement avoué. Les attentats du 11 Septembre 2001 n'auront fait que confirmer l'hypothèse : Spielberg absorbe l'air du temps tel une éponge. Pour un "E.T.", un "Indiana Jones" ou un "Couleur pourpre" éclatant sous l'ère Reagan, l'ex-Wonder Boy signe dans la première partie des années 2000 "Minority Report" ou "Munich". Un delta artistique constaté dans la photo expérimentale de "Janusz Kaminski" plus insaisissable mais aussi un sens du divertissement plus en adéquation avec l'image d'une société occidentale malade.
Juste avant "La Guerre des mondes" et "Munich", deux autres boulets de canon, "Le Terminal" aura son petit mot à dire malgré sa faible capacité à draguer son spectateur dans les eaux tumultueuses de l'Entertainment. Entre crimes non prémédités et coup de poignard dans le crâne (si si c'est dans "Munich"), c'est le bon air de la comédie qui enveloppe ce nouvel opus. Une pause en apparence car le destin de Viktor Navorski (Tom Hanks) est assez peu enviable : *Peu après être arrivé à l'aéroport de JFK, le Krakozien se retrouve privé de passeport et de papiers d'identité par l'équipe de sécurité. Après un coup d'oeil aux informations sur l'un des écrans du hall, **Viktor va rapidement comprendre que son pays est en guerre et que le sol américain n'est pas en droit de le laisser circuler librement. Les neufs mois qui suivront se dérouleront dans un périmètre réduit allant du Duty free à la porte 67, du Burger King au bureau de sécurité dirigé par l'ambitieux Dixon.*
"Mr. Smith au Sénat" et "L'extravagant Mr. Deeds" de Frank Capra sont les références naturelles vers lesquelles se tourne "Le Terminal". Pour celui qui aime les comédies du réalisateur de "La vie est belle" sait que sous le trait de la caricature un peu épaisse du provincial benêt se cache une volonté de fer et un coeur en or. L'écriture volontairement "fournie" des personnages permet de mettre en relief toute la rigidité du système de vote des lois et de ceux qui les font. Même si Spieberg se réfère à tout un versent de la carrière de Capra, c'est un mimétisme de l'esprit de ses productions et des gimmicks qui les accompagnent plus qu'une simple contrefaçon. Pas étonnant alors de retrouver Tom Hanks dans "les frusques" de Viktor Navorski, copie conforme contemporaine de James Stewart.
Né sous une bonne étoile et étrangement plus séduisant au second visionnage, "le Terminal" n'a pourtant pas les faveurs des amateurs du barbu à casquette. Délicatement construit et d'une rare sensibilité, le métrage ne convint pas réellement laissant un goût de trop peu sur la rétine. On serait tenté d'assimiler le syndrome de l'aéroport à celui d'un autre film centré sur les pistes d'aviation le bien nommé "Always". C'est comme si le spectateur n'acceptait de "Spielberg" que le ludisme, l'émerveillement ou le gigantisme. La simplicité étant considérée comme de l'ordinaire. D'un point de vue néophyte, "Le Terminal" s'apprécierait plus comme un loner détaché de toutes connaissances liées à la filmographie de son auteur. D'ailleurs, il est conseillé de ne jamais faire mention du Spielberg enragé de cette éclatante période si l'on veut prendre du plaisir à l'expérience. A ce titre, la corrélation avec un autre titre phare de l'auteur est plus qu'évident : "E.T.
Et c'est certainement dans l'optique de la thématique à répétition que le réalisateur de "Cheval de Guerre" s'éparpille. Non pas sur la forme mais sur la capacité à raconter littéralement l'histoire de "E.T." sans le prisme de la Science fiction. L'Alien en terre inconnue, le langage, les rencontres, la philosophie de vie, autant de sujets finement abordés par le film de genre avec une rare sensibilité. Ce que l'extra-terrestre traite avec justesse, "Le Terminal" se fait plus rond en grossissant le trait du conte. La mosaïque de "Viktor" n'est-elle pas le coeur incandescent de "E.T." ? Le happy-end n'est-il pas baigné également d'une certaine amertume ?
Au-delà d'un questionnement sur la manière de cultiver l'identité propre de l'oeuvre, "Le Terminal" achève son récit sur une promesse tenue. Un refrain que "Spielberg" connaît sur le bout des doigts.