Nouvelle et dernière incursion dans la filmographie de Victor Sjöström, pour le moment. Le Vent est, sans aucun doute, son film le plus célèbre. Autant qu’il s’agit de l’un de ses derniers films, c’est aussi l’un de ses plus reconnus, faisant de lui l’un des films muets les plus salués et cités encore aujourd’hui.


Auparavant passé par l’Amérique puritaine du XVIIe siècle dans La Lettre Écarlate (1926), Sjöström nous invite, cette fois, dans les grandes plaines du désert américain, quelque part au XIXe siècle. Quand Letty prend le train pour se rendre chez son cousin, on lui parle de ces grandes contrées reculées, de la vie qu’on y mène, et du vent qui y souffle perpétuellement. Alors qu’elle arrive à destination, elle découvre ces paysages sauvages, synonymes d’une nouvelle vie pour elle, d’un retour aux sources, elle qui semble provenir d’un univers plus citadin. Les cow-boys élèvent du bétail et des chevaux, ils survivent dans ces endroits lointains, alors que le vent souffle, encore et toujours.


Le spectateur remarque rapidement un décalage entre Letty et les personnages qui l’entourent. C’est celui-ci qui sera la base et la clé de l’intrigue que propose Victor Sjöström dans Le Vent. Tantôt farouches et adversaires, à l’image de la femme du cousin, tantôt amicaux et chaleureux, voire trop, à l’image de Lige, tous ces personnages créent une sorte de microcosme étrange où Letty se distingue largement. Ici, elle n’est jamais qu’une invitée, ou, au pire, une étrangère devant se soumettre aux lois de cet endroit. La jeune femme, simplement venue vivre chez sa famille, se voit imposer les règles, elle ne peut jamais choisir, elle subit, toujours. Prolongeant la réflexion proposée dans La Lettre Écarlate, Victor Sjöström montre un monde d’hommes où les femmes ne choisissent pas, devant suivre ce qui leur est imposé. Les hommes veulent l’épouser, alors elle doit accepter. Elle ne peut subvenir à ses besoins seule, alors il il faut un mari. Letty se retrouve alors confrontée à la découverte des sentiments, de l’amour comme attraction et comme repoussoir, un amour imposé par la société, mais aussi par son aspect incontrôlable.


Survient alors l’intervention de l’un des personnages principaux du film : le vent. Omniprésent, il balaie tout sur son passage, il ébouriffe les personnages, il les égare dans des tourbillons de poussière. Plus que jamais, Victor Sjöström fait appel à la nature à travers cette force invisible et insurmontable, le vent venant lier, forcer et anéantir les destins, devenant maîtresse de tout, écrivant l’histoire de ses puissantes rafales. Le vent, c’est aussi une projection de l’état mental de Letty, comme le fut la mer pour Terje Vigen dans le film du même nom. C’est cette tempête émotionnelle qui gagne en puissance au fur et à mesure que l’héroïne est tourmentée dans l’indécision, qu’elle subit, jusqu’à atteindre l’émancipation et l’émancipation.


Le Vent constitue une véritable synthèse du cinéma de Victor Sjöström, reprenant toutes ses composantes majeures et les poussant à un degré de maîtrise et de sophistication inédits. Puisant dans les tourments de ses personnages pour affecter l’imagerie de son film, notamment avec l’invocation du vent, le cinéaste s’aventure sur les sentiers de l’expressionnisme, allant jusqu’à proposer des séquences très oniriques, comme les superbes images du cheval qui galope au ralenti dans les nuages. Le Vent est une nouvelle œuvre majeure de la part du cinéaste, et c’est probablement son film le plus abouti et le plus évocateur. Au crépuscule du cinéma muet, ce dernier trouve ici un sommet, une apogée qui se déchaîne une dernière fois dans les tourbillons de l’infini.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

Créée

le 25 févr. 2020

Critique lue 113 fois

2 j'aime

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 113 fois

2

D'autres avis sur Le Vent

Le Vent
Docteur_Jivago
9

Le cinéma face à l'éternité

Alors que le cinéma muet, en passe de se faire remplacer par le parlant, en est au crépuscule de son existence, ses dernières années verront des cinéastes atteindre leur sommet sous cette forme-là, à...

le 19 oct. 2016

27 j'aime

1

Le Vent
Plume231
8

Un des derniers, sublimes, souffles d'un cinéma pourtant déjà condamné !!!

Une oeuvre qui est loin de manquer de souffle (OK, je dégage !!!), mais jeu de mots pourri à part sans plaisanter "Le Vent" dégage un véritable souffle aussi bien sur le plan du rythme, car les 75...

le 25 juin 2014

12 j'aime

1

Le Vent
Noremac
9

Critique de Le Vent par Noremac

Incroyable long métrage qu'est le vent,qui à l'instar des plus grands films du cinéma muet,repose sur une base scénaristique d'une simplicité confondante et arrive cependant à captiver, à sublimer...

le 19 oct. 2012

8 j'aime

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

74 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

42 j'aime

5