J'ai mis un 8 au "Gout de la cerise", je mets un 7 au "Vent nous emportera", qui, je trouve, reproduit à peu près la même structure dramatique en l'appliquant à un autre sujet, pas si éloigné tout de même (il s'agira toujours du rapport entre la vie et la mort), avec moins de force.

Comme dans le "Gout de la cerise", un mystère plane sur les raisons de l'arrivée du héros dans un village (du Kurdistan Iranien) : direction de travaux pour les télécommunication ? Reportage sur les rites traditionnels funéraires ? Mais cette fois-ci le mystère n'est pas levé. Comme souvent chez Kiarostami, c'est au spectateur de donner son propre sens. Mais cette liberté d'interprétation est à mon gout trop large dans ce film, je préfère le choix du Gout de la cerise de lever le mystère au quart du film.

Comme dans le" Gout de la cerise", le rythme est d'abord lent, puis tout bascule à un moment donné, ce qui s'incarne par un demi-tour (littéral puisqu'il s'agit du demi-tour de la voiture, dans le « Gout de la cerise » il s'agit du moment ou le héros décide de retourner trouver le taxidermiste qui devra s'assurer de la réussite de son suicide, dans le vent nous emportera il s'agit du moment où l'ouvrier des télécommunication est victime d'un accident. Dans le vent nous emportera, le demi-tour est doublé du retournement volontaire d'une tortue par le héros - geste qui répondra à la question posée de savoir si le héros est un homme bon : il ne l'est pas puisqu'il fait du mal aux animaux).

Comme dans le « Gout de la cerise » les mouvements sont harmonieux et fluides avant le demi-tour, et deviennent saccadés, contraints par des obstacles (les troupeaux de bêtes vont dans le même sens que la voiture dans la 1ère partie, dans le sens opposé dans la seconde, de même que dans le "Gout de la cerise" le héros croise un groupe d'enfants, (qui va de la gauche du cadre vers la droite) il monte en sens inverse, après le demi-tour.

Comme dans le « Goût de la cerise » on comprend que le point de vue auquel Kiarostami adhère à propos de la problématique du film qui tourne autour de la place de la mort dans la vie, du comment bien vivre, est le point de vue d'un sensaliste-hédoniste incarné ici par le médecin : si la mort est quelque chose de grave et d'affreux, ce qui compte est le plaisir de vivre, le « savoir-vivre », son plaisir à lui étant la contemplation de la nature lors de ses déplacements en moto.
Le point de vue exposé par le taxidermiste du "Gout de la cerise" sur le problème du suicide sera plus argumenté et développé, et appartiendra à la même école philosophique que celle du médecin du "Vent nous emportera".
Les deux « philosophes » exposeront une conception de la vie soutenant le plaisir de vivre tout en tenant compte des déplaisirs, douleurs et drames qui peuvent arriver, le pire étant la mort – des autres, de nous même). Le problème de la mort n'est pas pris à la légère, ni évacué à la manière d'Epicure qui dans la lettre à Ménécée affirme que « La mort n'est rien pour nous puisque quand elle est là je ne suis plus, et que quand elle n'est pas là, je suis toujours vivant : je ne peux donc faire l'expérience de la mort, puisque la mort est justement la privation de la possibilité de faire des expérience. N'ayons donc pas peur de la mort. »

Kiarostami, parle de la mort, de son expérience, affronte le sujet, en accepte la dramaturgie, mais refuse de tomber dans une philosophie pessimiste ne tenant compte que des douleurs de l'existence comme le ferait Schopenhauer, il préfère garder une philosophie hédoniste, amoureuse de la vie et du plaisir de vivre : si vivre nous confronte à la douleur, à la mort, reste néanmoins à celui qui « sait vivre », des plaisirs qui en font quelque chose de formidable, et il ne faut pas dans les moments de grande douleur comme semble en vivre un le héros du goût de la cerise, se laisser aller à la tentation du suicide.

Si je sens bien une évolution du personnage et de ses sentiments, de ses idées dans le « Gout de la cerise », incarnés par un changement de rythme, un jeu du comédien différent, une colorimétrie des plans différentes (la lumière est diffuse et blanche avant le demi tour, feutrée et chaude ensuite), je sens moins cette évolution chez le héros du « Vent nous emportera », alors que Kiarostami semble vouloir faire évoluer son personnage (il lave le pare-brise de sa voiture, jette l'os dans le ruisseau qui « emporte la vie »). A moins qu'il ait voulu que cette évolution soit moins marquée...

Dans tous les cas ce sont des films qui, regardés « passivement » peuvent paraître simples, assez vides, trop lents. Mais dès qu'on s'active à refléchir on voit que ce sont des films très riches, profonds, aux rythmes variés et aux thématiques à dimension philosophique.
DavidP12
7
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le 24 nov. 2012

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David Poulain

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